Terreur sur les libertés fondamentales !
À force d’agir sous le coup de le sidération sécuritaire, on prend en otage la délibération collective. À force de légiférer sous le coup de l’émotion médiatique, on percute l’équilibre des droits fondamentaux et des libertés publiques. Ainsi du projet de loi terroriste adopté hier en procédure d’urgence par l’Assemblée nationale, lequel risque d’instaurer en France un état d’exception permanent, hors cadre légal, sous prétexte de lutte contre le terrorisme.
Le texte propose que l’autorité administrative (et non un juge judiciaire, pourtant seul « gardien des libertés individuelles » selon la Constitution) puisse « interdire le départ de France d’un ressortissant français lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il projette des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes {…} susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publiques lors de son retour sur le territoire français » (art.1). Bernard Cazeneuve devrait se rappeler que Minority Report n’est qu’une fiction : entraver ainsi la liberté de circulation des personnes sous des prétextes aussi flous et au mépris des garanties fondamentales (décision d’un juge, droit à un avocat qui ne soit pas qu’un alibi…) est anticonstitutionnel et va à l’encontre de l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen. Comment en effet établir une intention de retour au pays pour des actes terroristes ? Faudra-t-il alors tabler sur une probabilité ? Comment la mesurer?
Le gouvernement souhaite également pénaliser « les délits de provocation aux actes de terrorisme et apologie de ces actes » (art. 4) auparavant encadrée par la loi de 1881 sur la presse : il s’agit là encore de porter atteinte à la liberté d’opinion et d’expression en utilisant la notion bien vague de « propagande terroriste » d’une part, en oubliant d’autre part que l’appréciation de l’apologie d’actes terroristes revêt un caractère subjectif (or en faisant passer l’apologie d’actes terroristes sous le régime dérogatoire du terrorisme, le texte dispense l’implication d’une autorité judiciaire) : de nombreuses formes de contestations sociales et politiques tomberaient ainsi sous le coup de la loi. À cette occasion, le gouvernement a par ailleurs choisi de faire de l’utilisation d’Internet une circonstance aggravante (!). Et l’attaque contre Internet ne s’arrête pas là puisque l’article 9 prévoit le blocage administratif de sites web hébergeant des contenus relevant de l’apologie du terrorisme : de nombreux sites se verraient ainsi abusivement bloqués, sans contrôle judiciaire préalable. En introduisant l’absurde notion « d’entreprise terroriste individuelle » afin d’étendre aux « loups solitaires » (sic) les sanctions prévues pour association de malfaiteurs, l’article 5 rend tout internaute qui consulterait un site hébergeant des contenus potentiellement liés à l’apologie du terrorisme suspect de velléités terroristes, notamment s’il détient « des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ». Débarrassez-vous sans attendre de vos couteaux de cuisine citoyens ! Là encore, c’est un grave coup porté contre la liberté de s’informer : est-il impensable de consulter des contenus relatifs au terrorisme par simple désir d’information ? Il s’agit par ailleurs d’une terrifiante atteinte à la vie privée des citoyens : à quand les caméras du ministère de l’Intérieur dans chaque chambre à coucher ?
Notons aussi que cette logique sécuritaire portant atteinte à nos libertés fondamentales contaminera le droit commun au-delà du champ du terrorisme : il en est ainsi de la facilitation de perquisitions informatiques ou de la prolongation de la durée de conservation des écoutes administratives (art. 10 et 15).
Le projet de loi terrorisme entend donc bien créer une société policière peuplée de suspects. En creux, elle vise le formidable espace de liberté que constitue Internet et porte en lui une nouvelle charge contre le neutralité du web. Nous déplorons amèrement cette dérive autoritaire ; elle est la pire des réponses que le gouvernement pouvait apporter à la crise démocratique qui disloque le pays. »