L’élection de Donald Trump est un terrible coup de semonce. Cette fois, il ne s’agit plus d’un pays à l’impact mineur dans le concert international : un extrémiste de droite vient de prendre la tête de la première puissance mondiale. Impossible de penser que l’élection d’un milliardaire raciste, sexiste, climato-sceptique, dangereux pour les libertés, dont le programme prévoit de tailler dans les rares mécanismes de solidarité publique existants, de favoriser fiscalement les riches, d’abolir toutes les règles de régulation de la finance, n’aura pas des conséquences au-delà des seuls Etats-Unis.
Et pourtant, Trump sera parvenu à se faire passer pour un candidat anti-système face à une technocrate apôtre du libre-échange et liée à l’oligarchie financière. Il aura mobilisé sur son nom l’électorat le plus réactionnaire mais aussi des laissé-e-s pour compte du néo-libéralisme. Ces dernier-e-s auront pris pour argent comptant ses critiques du libre-échange, comme l’assurance d’une meilleure protection vis-à-vis de la concurrence mondialisée. Il n’est pas surprenant que l’Etat qui a fait basculer définitivement le scrutin, la Floride, ait été l’épicentre de la crise financière et boursière des sub-primes, laissant des centaines de petits propriétaires dans la misère. En cela Trump est bien un symptôme hideux de l’impasse dans laquelle nous entraîne le capitalisme globalisé. Toujours plus en nombre, les peuples lui cherchent une issue. Comme celle incarnée en France par Marine Le Pen, celle de Trump est identitaire, autoritaire et xénophobe. Mais elle a surtout gagné par défaut : Trump n’a pas drainé sur son nom l’ensemble des classes populaires, loin de là, puisqu’au final près d’un électeur sur deux se sera abstenu. Beaucoup de celles et ceux qui s’étaient mobilisé-e-s pour Obama et plus encore derrière Bernie Sanders n’ont juste pas jugé bon de se déplacer pour sauver le clan Clinton.
Car cette défaite est aussi celle, définitive, de la « 3ème voie » social-libérale justement ouverte dans les années 80 par les Clinton avec Blair ou Schroeder. Le Brexit et le triomphe de Corbyn à la tête du Labour en Grande-Bretagne ont marqué un échec sans retour pour les héritiers de Blair ; celui, sans appel, de Hillary Clinton en est l’écho outre-Atlantique. A ces chutes hautement symboliques, s’ajoutera en 2017 celle, prévisible, quelle que soit sa forme, de François Hollande qui fut l’un des principaux entristes de cette ligne dans le parti d’Epinay. Doit-on rappeler qu’en 1985, il rédigea avec ses amis « transcourant », Sapin et Le Drian déjà, « La Gauche bouge », qui appelait à la fondation d’un parti démocrate à l’américaine ? Tous ceux-là, pour avoir décidé d’accompagner le capitalisme mondialisé faute de vouloir le combattre, auront participé à le présenter comme un paradigme naturel et indépassable. Au final, ils auront été mangés tout crus, digérés et assimilés par le système au point d’en être devenus ses dévots. Et ils auront entraîné toute la social-démocratie avec eux.
Qui s’étonnera que lorsque ce système vacille, ces gardiens du temps s’écroulent avec ? Leur seule stratégie devant le précipice qui s’ouvre devant eux ? Proposer de les accompagner dans le vide comme Cambadélis appelant une fois de plus à l’unité de la « gôche » après la victoire de Trump. Soit au final de suivre le même mécanisme qui aura vu Bernie Sanders soutenir Hillary Clinton. La victoire de Trump est aussi le résultat d’une démocratie atrophiée par son bipartisme, malade de son système censitaire mais aussi de celui des primaires qui en forçant à un choix binaire et trompeur n’aura pas permis à Bernie Sanders de se présenter alors que lui, aurait pu l’emporter face à Trump.
C’est donc au moment où ce système est en crise aux USA, que les partis du système ont décidé de le dupliquer en France pour assurer leur domination institutionnelle. L’actuel « spectacle » offert par la primaire de la droite et promis par celle du PS montre d’ailleurs que la pente est prise. Sans guère d’originalité, les voilà qui singent même le jeu de rôle américain. Ex Président de la République, ex Premier ministre, ex Ministre de l’intérieur, politicien des beaux quartiers depuis tout petit, co-auteur du dernier traité européen avec Mme Merkel, Sarkozy joue la victime du système pour espérer coiffer Juppé sur le fil. Plus la proximité idéologique est grande, et elle l’est presque totalement entre les candidats LR, plus l’outrance verbale et les affrontements de personne augmentent. Au PS, la machine à consensus mou que nous avions dénoncée tourne à plein. Voilà que Montebourg affadit son discours : les salaires ? On ne les augmentera que si l’UE est d‘accord. La loi El Khomri ? On peut bien imaginer des règles différentes selon la taille des entreprises. Mélenchon ? Son programme est trop radical pour espérer un quelconque accord. Jusqu’à la vulgarité machiste qui s’invite, comme elle l’a été régulièrement pendant la campagne américaine. Ainsi François Kalfon, directeur de campagne de Arnaud Montebourg, qui se lâche : « Arnaud est le type dont rêvent les femmes pour un amour d’une nuit d’été. Il faut parvenir à ce qu’elles rêvent de lui pour acheter une maison Phénix et y élever des enfants ». Un symptôme primaire, c’est le cas de le dire, dont on aurait tort de n’y voir qu’un dérapage isolé : pour ces gens-là, dans la 5ème République finissante, la démocratie se prend « à la hussarde », dans les mêmes règles que celles du marché roi.
Seulement cela ne marche plus. On a déjà la certitude que cela ne marchera pas pour les partis de l’actuel gouvernement dont il paraît impossible que le représentant, Hollande ou un autre, se qualifie pour le second tour.
Voilà pourquoi, le vote Jean-Luc Mélenchon apparaît toujours plus nécessaire par sa singularité. Le programme « L’avenir en commun » le distinguait déjà de tous les candidats qui peuvent prétendre remporter l’élection : Jean-Luc Mélenchon est le seul à s’engager pour la 6ème République, pour la rupture avec le libre-échange (à commencer par l’engagement à ne pas ratifier le CETA et TAFTA et à mettre la sortie des actuels traités comme préalable à toute renégociation de l’UE), pour un partage du travail et des richesses, sur les moyens d’une véritable transition énergétique par la planification écologique ou encore sur l’abrogation de la loi El Khomri.
Depuis l’élection de Trump, le vote Jean-Luc Mélenchon apparaît comme toujours plus nécessaire. Il est en effet le seul à s’opposer à la fois à l’importation d’une mauvaise copie du marketing électoral US, à être favorable à une politique internationale indépendante des USA et de l’OTAN, aujourd’hui plus urgente que jamais, et à proposer une alternative franche et progressiste au système. Jean-Luc Mélenchon est au final le vote nécessaire pour éviter pareille contagion en France. Le seul à pouvoir éviter un second tour entre la droite et l’extrême-droite en 2017.
Eric Coquerel
Coordinateur politique du Parti de Gauche