Le paysage « réel » de l’élection présidentielle se dessine. Le week-end dernier a vu tous les espaces politiques se fragmenter un peu plus à l’exception notable du nôtre.
Pour emporter la primaire de la droite, François Fillon a en effet durci son programme sur le plan économique et sociétal. C’est un Sarkozy ++ qui l’emporte face à celui qui devait permettre à la droite de fédérer au-delà de son cœur électoral. Une fois le souffle médiatique atténué, on se rendra compte qu’un tel candidat, ultra-libéral et réactionnaire, divise en réalité un peu plus son « camp ». Les droites et le centre se répartissent en effet sur la ligne de départ entre Marine Le Pen, François Fillon, Emmanuel Macron (qui a d’ailleurs dès dimanche fait appel aux électeurs d’Alain Juppé), Dupont-Aignan et, sans doute, François Bayrou. Bien sûr le cœur de l’électorat de chacun correspond à des priorités différentes, par exemple sur l’Europe, mais chacun d’entre eux porte également des thèmes qui chevauchent ceux des autres : le programme économique de Fillon n’est sur le fond pas différent de celui de Macron, les sorties ultra-conservatrices et même identitaires du premier lorgnent vers les idées du FN en la matière. Dit autrement, il y aura dans les urnes non pas une addition mais un processus de vases communiquants entre toutes ces candidatures. Le seuil pour se qualifier au second tour s’abaissera donc d’autant. Les raisons pour lesquelles François Fillon a ainsi remporté la primaire pourraient devenir celles de son échec devant le suffrage universel.
Les socio-libéraux paraissent toujours plus mal en point pour en profiter. D’une part chacun sent bien que la pente ultra-libérale sur laquelle s’engouffre Fillon a été dessinée par les lois El Khomri ou Macron. Les français sont dotées d’une mémoire politique, il sera donc difficile au candidat social-libéral, quel qu’il soit, de leur faire prendre des vessies libérales pour des lanternes sociales en quelques semaines. D’autre part, ce camp-là aussi se divise, comme en témoigne la candidature autonome de Sylvia Pinel du PRG et la bisbille de palais entre François Hollande et Manuel Valls dont on sent bien que sa mise entre parenthèses n’est que passagère.
En réalité, seule la candidature de Jean-Luc Mélenchon a démontré le week-end dernier sa capacité à fédérer davantage avec le vote en sa faveur des militants communistes après ceux d’Ensemble la semaine précédente. D’autres courants, mouvements ou partis suivront. Ce vote, inattendu après celui, contraire, de la convention nationale, est en effet un signe, le symptôme d’une réussite. Pour tous ceux qui veulent sincèrement donner une chance à une alternative avec le système, il est difficile de rester en dehors d’une dynamique qui s’enracine en profondeur dans le pays. Elle est d’autant plus intéressante que multiforme : toujours plus de signatures d’insoumis-e-s sur la plateforme (plus de 160 000), d’activités des groupes d’appui, de succès sur les réseaux sociaux (y compris du buzz incroyable fait autour de vidéos de plusieurs camarades de notre secrétariat national), de monde dans les fêtes et meetings à commencer par celui de Bordeaux avec Jean-Luc Mélenchon qui a vu des centaines de personnes ne pas pouvoir rentrer dans la salle de théâtre et rester deux heures durant dans le froid à écouter le discours du candidat. Le Conseil national du PG qui aura lieu ce week-end sera un nouvel épisode de cette mise en mouvement. Il montrera que le principal parti qui soutient la campagne France Insoumise entend toujours plus favoriser cette dynamique jusqu’à la victoire possible.
En cette sortie de primaire de la droite, Jean-Luc Mélenchon apparaît en effet comme le candidat nécessaire, le plus efficace, contre Fillon et plus globalement les droites. En raison avant tout de la différence de son programme « l’Avenir en commun » qui sort ce 1er décembre. Il est l’antidote le plus efficace au musée des horreurs libérales dont les médias nous ont gavé au cours des semaines qui ont précédé la primaire des Républicains. C’est dans ce programme avant tout que réside la capacité d’entraîner aussi ces millions de Français-e-s qui continuent, à juste titre, à se sentir étranger-e-s justement à la télé-réalité des primaires et plus globalement de ce cirque politicien.
Dans ce monde là, observez-le, on ne parle ni de l’environnement, ni du climat, ni du libre-échange, sauf pour répéter à satiété qu’il faut « s’adapter à la mondialisation » (entendez, lui sacrifier tout ce qu’il nous reste de modèle social), ni enfin de l’Union Européenne. L’extraordinaire tour de passe-passe qui a permis aux prétendants à la présidence française de contourner la question européenne pourrait vite se fracasser sur le mur des réalités : l’UE avance comme le Titanic le fit naguère. Le référendum italien du 4 décembre prochain peut, après le Brexit, constituer un nouveau coup de tonnerre. Certes il n’est apparemment pas question d’Europe dans la proposition soumise à référendum : les Italiens sont appelés à se prononcer sur une réforme constitutionnelle censée renforcer les pouvoirs du gouvernement au détriment des deux chambres afin de faciliter le travail de réformes de Matteo Renzi. Mais justement ce sont ces réformes, visant à aligner toujours plus l’Italie sur la politique libérale et libre-échangiste de Bruxelles, qui ne passent plus. En cas de victoire du non ce sont celles-ci, chacun le sent bien, qui seraient rejetées et Renzi avec. C’est pourquoi un Italexit est évoqué. C’est donc peut-être sous ces auspices que la campagne présidentielle française pourrait accélérer en janvier. Là encore, la solution différente portée par « l’Avenir en commun » d’un plan A (on sort des traités pour les renégocier de fond en comble), adossé à un plan B (on sort des traités pour appliquer des mesures unilatérales, y compris monétaires, et coopératives avec tous les autres Etats qui voudraient rompre sur les mêmes bases que la France) pourrait bien se faire un chemin dans le débat démocratique comme l’issue la plus naturelle et réaliste à la crise rampante que subissent tous les peuples européens. Et rendre toujours plus nécessaire le vote Jean-Luc Mélenchon.
Eric Coquerel,