Depuis janvier, et sa proposition de constitutionnaliser la préférence nationale, la campagne de Marine Le Pen s’est fortement radicalisée. De la victoire de Trump aux USA, la patronne du FN a tiré manifestement la conclusion qu’il est possible de remporter l’élection en assumant les concepts les plus rances et racistes de l’extrême-droite. Les « élites » médiatico-politiques ne lui ont pas donné tort en relevant à peine – ou du moins pas à la hauteur de sa brutalité – sa proposition, la banalisant ainsi.
Mais le climat s’est encore alourdi. Les responsables : François Fillon et Marine Le Pen et la méthode avec laquelle ils gèrent des affaires de justice les concernant. Les deux, pour détourner l’accusation, font appel à des thèses complotistes aux effets délétères et aux manières quasi factieuses. Comme Berlusconi avant eux en Italie voilà ces possibles « mis en examen » jetant l’opprobre sur les magistrats et les fonctionnaires. Le premier appelle les « Versaillais » à marcher contre les juges et carrément le peuple à lui faire justice via le suffrage universel, la seconde les menace d’épuration une fois arrivée au pouvoir après avoir refusé leur convocation.
Ces deux-là réclament la répression la plus sévère contre des syndicalistes arrêtés au petit matin chez eux pour une chemise déchirée ou des jeunes manifestants mis en garde à vue pour participation à une manifestation non autorisée ou à un blocus de lycée. Les voilà maintenant qui s’indignent d’être convoqués par la justice pour de fortes présomptions de centaines de milliers d’euros volés à la collectivité via des emplois fictifs ! Pire, ils radicalisent toujours plus leur électorat sur ce thème à des fins finalement personnelles, certains l’un et l’autre que la fonction présidentielle les mettrait définitivement à l’abri. De Marine Le Pen on n’en sera pas surpris. Dans cette petite entreprise familiale on utilise depuis longtemps la victimisation du système pour détourner l’attention sur les nombreuses poursuites judiciaires concernant le père et la fille. De la part de François Fillon c’est le signe, après que la voie ait été ouverte par Nicolas Sarkozy, d’une dérive inquiétante. Car en jouant sur ce registre démagogue, Fillon, en cas d’élimination probable au 1er tour s’il se maintenait coûte que coûte, facilite ainsi le report de son électorat vers le FN après lui avoir déjà largement emprunté des tonalités ultra réactionnaires et anti musulmans.
François Fillon et Marine Le Pen prennent en otage l’élection, polluant un peu plus un climat politique. Face au « truand » politique et à la brute xénophobe, le système s’est donc choisi son « bon » : Emmanuel Macron.
A entendre le journal Le Monde, le candidat qui marche emprunterait donc son programme au modèle scandinave. On y voit plutôt le résultat d’un croisement génétiquement modifié entre François Hollande et Valéry Giscard d’Estaing. Car Macron poursuit, en pire, le travail de démolition de l’Etat social auquel l’avait convié François Hollande en tant que Ministre des Finances. Les mesures concrètes annoncées vont toutes dans le sens de plus d’austérité, de baisse des recettes publiques (60 milliards), de dérégulation du marché du travail, de politique de l’offre, d’avantages accordés aux revenus du capital, de nivellement des retraites vers le bas… On retiendra aussi que pour lutter contre le chômage il s’en prend aux chômeurs ; qu’il conditionne le montant des dotations des collectivités territoriales à leur réforme structurelle comme la commission européenne le fait vis-à-vis des pays membres ; qu’il prépare la fin du caractère national de l’éducation en appelant à une autonomie tout azimut ; qu’il casse la fonction publique d’Etat en régionalisant le niveau des salaires et en introduisant le droit privé dans l’encadrement sans oublier de dénoncer les « syndicats politiques ». Quant à l’UE, Mme Merkel est tranquille puisque Macron compte la convaincre de la crédibilité de la France. On ne saurait mieux annoncer à l’avance que de ce côté-là rien ne changera, le caniche de Mme Merkel sera juste plus jeune.
Ne s’affirmant ni de droite ni de gauche, Macron est du centre. Mais un centre qui est à l’image de la recomposition de la vie politique française à l’américaine dont rêvent depuis si longtemps ses partisans et dont François Hollande est le plus tenace représentant ici. Ils y voient la possible émergence d’un parti démocrate débarrassé de tous les valeurs émancipatrices et transformatrices de la gauche, celle née de la grande révolution, de celles du 19ème siècle et des combats ouvriers. En ce sens Macron est l’enfant naturel du Président de la République. Dans leurs rêves les plus fous pourquoi ne l’imagineraient-ils pas ? Que Fillon entraîne dans son suicide la droite républicaine et ils peuvent même espérer l’émergence d’un bi-partisme monstrueux entre leur force démocrate et un camp ultra réactionnaire dominé par l’extrême-droite. La comparaison entre Le Pen et le républicain Donald Trump complète ce possible tableau.
L’enjeu de cette élection présidentielle en est, du coup, toujours plus importante. Elle est le moment où l’histoire d’un pays peut basculer. Notre responsabilité n’en est que plus lourde. La marche initiée par Jean-Luc Mélenchon le 18 mars revêt dans ce moment une grande importance. Elle peut constituer la première réponse aux vents mauvais semés par Le Pen et Fillon, quel que soit le devenir de ce dernier en tant que candidat que l’on espère abrégé, et au système qui rêve de se perpétrer avec Macron. C’est la marche de la République que nous souhaitons, citoyenne, écologique et sociale. Elle donnera le signal du dernier mois de campagne. Il va se dérouler dans un contexte inédit : tout l’indique, jamais les citoyen-ne-s n’ont été aussi indécis, hésitant dans leur vote (ou leur non vote). Il faut espérer que les français-e-s auront le droit au débat démocratique auquel ils aspirent, projet contre projet, programme contre programme. Il faudra surtout en créer les conditions comme nous avons su le faire lors de la campagne citoyenne en vue du référendum sur le TCE de 2005. La multiplication et le succès des réunions publiques programmatiques de France Insoumise sont de ce point de vue un bon signe : dans ce grand débat citoyen nécessaire, la rupture cohérente proposée par notre programme l’Avenir en commun peut faire la différence. Il est notre atout principal.
Celui qui peut largement fédérer et permettre à Jean-Luc Mélenchon d’éviter que la France s’embourbe dans un mauvaise adaptation politique du « bon », de la brute et du « truand ».