Le site Rojinfo a interviewé Corinne Morel Darleux de retour d’Ankara où elle était pour les procès des députés du HDP Figen Yuksekdag et Selhattin Demirtas avec JC Sellin. Rojinfo a publié un article sur la délégation française en Turquie : « Procès HDP à Ankara : De lourdes peines requises » https://rojinfo.com/2669-2/
« Turquie : Priver cette zone de gens qui prônent le féminisme, la coexistence, c’est se tirer une balle dans le pied. »
Voici quelques extraits de l’interview de Corinne Morel Darleux, secrétaire nationale du Parti de Gauche:
Extraits issus de l’interview avec Rojinfo :
Si Erdogan était président en France, c’est nous qui serions en prison.
Corinne Morel Darleux: “Les peines demandées contre Figen Yüksekdağ et Selahattin Demirtaş sont très lourdes: 83 ans de réclusion pour Figen Yüksekdağ et 142 pour Selahattin Demirtaş et les charges sont des accusations de terrorisme. Je dois avouer que j’ai mis longtemps à m’intéresser de près au dossier kurde, parce que j’étais réticente comme beaucoup de gens. C’est comme la Palestine. Quand on regarde de loin, on se dit : “Peut-être on va se retrouver à soutenir des trucs pas très nets.” Du coup, il y a un peu de crainte et d’ignorance. Mais quand tu commences à éplucher les dossiers et les actes d’accusations de plus près, l’injustice saute aux yeux. Ces actes d’accusation reposent essentiellement sur des discours notamment prononcés à l’intérieur de l’Assemblée nationale turque, sur la participation à des manifestations, sur des appels à arrêter les massacres des populations civiles ou pour avoir demandé un corridor humanitaire pour le Rojava. Tout cela, ce sont des choses que nous en France aurions faites dans les mêmes circonstances. Si Erdogan était président en France, c’est nous qui serions en prison. Aujourd’hui ne n’ai plus aucune réticence à défendre les gens du HDP ou du mouvement kurde. Le HDP n’est d’ailleurs pas seulement un parti kurde, il est beaucoup plus large que cela, ce qui me semble dans cette partie du monde absolument essentiel.”
Parodie de justice
Corinne Morel Darleux: “Les deux audiences ont eu lieu à Sincan, à 60 km d’Ankara. On a le sentiment que tout a été fait pour nous décourager. Un corridor de policiers turcs très lourdement armés nous a barré l’accès, frappant le sol avec leurs boucliers. Nous avons été encerclés de camions anti-émeutes ; ambiance particulière dans un froid extrême. A deux reprises, le président de la Cour a dit à voix haute dans la salle d’audience qu’il autorisait les délégations internationales à venir assister à l’audience, et à deux reprises, c’est la police turque qui s’y est opposée. Donc, on se pose la question sur l’indépendance de la justice en Turquie, puisqu’elle est à chaque fois contestée par l’Etat turc qui a le dernier mot. Le référent de la police devant la prison nous a dit qu’il fallait une accréditation du ministère des affaires étrangères. La fois d’avant, il nous avait dit qu’il fallait une accréditation du ministère de la justice. L’ambassade de Turquie en France par contre nous a envoyé un courrier qui stipule noir sur blanc qu’il n’y a pas besoin d’accréditation pour assister aux audiences en Turquie puisque la Constitution turque garantit que les procès soient publics. S’il y a un “trouble à l’ordre public”, c’est la Cour qui décide de tenir le procès à huis clos. Là, le procès n’était pas à huis clos parce que nous avons vu des membres de l’AKP entrer dans la salle d’audience sans difficultés. Ce sont uniquement les délégations étrangères et le personnel des ambassades qui sont restés dehors.”
Poches d’espoir
Corinne Morel Darleux: “Les deux procès ont été de nouveau reportés au moins de février. Pour Figen, le procureur a demandé une peine de réclusion à perpétuité aggravée. Si le réquisitoire est suivi, elle sera incarcérée jusqu’à la fin de ses jours dans une cellule individuelle et avec une visite de sa famille uniquement tous les deux mois. Figen Yüksekdağ a un grand désavantage aux yeux du gouvernement turc: elle n’est pas kurde. Elle est issue d’une famille turque traditionnelle paysanne. C’est moins facile de l’amalgamer avec des actes terroristes kurdes. Pour Selahattin Demirtaş c’est clairement une manière de décapiter politiquement le HDP. Il est extrêmement populaire, charismatique et il y a des élections législatives importantes en 2019. Ce sont des procès politiques, montés de toute pièce, dans une zone pleine de conflits, notamment avec l’Etat islamique contre qui les Kurdes ont joué un rôle primordial. Priver cette zone, en Turquie ou en Syrie, de gens qui prônent le féminisme, la coexistence, l’existence du Rojava, c’est se tirer une balle dans le pied. Ce sont des poches d’espoir pour toute une région.”
– Pour en savoir plus, retour de mission en Turquie sur le blog de Corinne Morel Darleux : « Kafka à Ankara » http://bit.ly/2B9sm31