Le nouveau rapport du GIEC, commandé à l’occasion de la Cop21, est donc sorti ce lundi. On y apprend que le seuil de « +1,5°C », considéré comme un point de bascule à ne pas dépasser, le sera dès 2030 au rythme actuel. Dans douze ans.
Le GIEC nous dit également qu’il peut encore être évité – en changeant tout, tout de suite. C’est une version optimiste qui fonctionne peut-être sur le papier, basée sur des chiffres et des considérations géophysiques, mais qui fait délibérément abstraction des aspects politiques. Or ceux-ci, au lieu d’agir comme facteurs de solution, sont aujourd’hui essentiellement des éléments d’aggravation. Ainsi des engagements de la Cop21, dit « accord de Paris » : même si ceux-ci étaient tenus, ils nous entraîneraient vers un réchauffement de +3°C, or ils ne le sont pas. Ajoutez à cela le hors-jeu des États-Unis, l’effet d’inertie du système et le poids des lobbies : il est de plus en plus probable que le +1,5°C soit atteint bien avant 2030.
Le caractère très hypothétique de la victoire du « +1,5°C » ne doit pas pour autant nous faire abandonner le combat. Ce serait oublier un peu vite qu’au-delà de ce chiffre, c’est chaque dixième de degré qu’il va falloir aller sauver. Car chaque dixième de degré supplémentaire sera pire que le précédent et causera davantage de victimes, d’injustice sociale et de dégâts irrémédiables sur les écosystèmes. Le phénomène climatique n’est pas linéaire, des seuils de rupture et des phénomènes d’emballement interviennent, qui en font un processus exponentiel. Il est donc essentiel de le répéter : la bataille ne s’arrête pas à 1,5°C et ne commence pas en 2030, mais maintenant.
On en est déjà à +1,1°C. A l’international, les catastrophes naturelles font de plus en plus de victimes, les sécheresses et pénuries causent des déplacements forcés de population et déséquilibrent des régions entières. Ici les montagnes s’écroulent, le lac d’Annecy se vide de manière alarmante, le Pic du Midi n’a pas gelé pendant plus de 100 jours, les vendanges arrivent de plus en plus tôt et les récoltes agricoles sont menacées. Le réchauffement climatique n’est pas pour 2100 ni même 2030. Il a commencé.
Il s’agit de faire preuve de lucidité. La politique n’est pas affaire d’espoir ou d’optimisme. Nous devons aux citoyens un discours d’honnêteté. Seule la lucidité, aussi brûlante soit-elle, peut nous conduire à examiner sincèrement la meilleure manière de contribuer, politiquement, à changer la vie. A préserver un climat permettant la vie. Jamais nous n’avons joué avec la colère, jamais nous ne jouerons sur la peur. Les « apôtres de l’apocalypse » sont ceux qui ignorent délibérément les signes qui se multiplient sous leurs yeux, qui regardent ailleurs quand des scientifiques et chercheurs lancent l’alerte. Ceux qui évoluent hors sol, pourraient agir et ne font rien. Aujourd’hui le réalisme est de notre côté.
Face à cette situation, nous avons besoin de trouver de nouveaux alliés, d’accélérer la mobilisation, et de nous organiser collectivement. Que ce soit pour éviter l’effondrement, pour en amortir le caractère violent, préparer le monde d’après ou simplement pour la dignité du présent, la situation nous oblige à sortir de nos zones de confort politique et valide l’urgence de passer d’une logique de pouvoir à celle de la puissance d’agir. Après l’été caniculaire en Europe et la multiplication des aléas climatiques tout autour du globe, la démission de Nicolas Hulot et le sentiment grandissant que rien ne viendra du gouvernement, la multiplication de tribunes et d’appels – plus ou moins pertinents -, le succès des marches pour le climat du 8 septembre, il s’agit d’organiser la convergence.
C’était un des objectifs du rassemblement Alternatiba qui s’est tenu ce week-end à Bayonne. Montrer que les solutions et « pas de côté » existent avec le village des alternatives, débattre et apprendre dans des amphis bondés : scientifiques, élus, militants, associations et citoyens, curieux ou inquiets, ce sont 15.000 personnes qui s’y sont réunies pendant deux jours pour « tenter l’impossible pour éviter l’impensable ». Pendant deux jours il a été rappelé que les actes et choix politiques comptent, que nous rentrons désormais dans une phase de « tolérance zéro », et que chacun a sa place dans ce combat. Des militants aguerris aux citoyens qui prennent seulement connaissance des enjeux, au fil des débats et des stands, chacun a pu y trouver de quoi agir selon sa disponibilité, son niveau de conscience, son envie de militance. La souveraineté populaire passe aussi par l’action citoyenne, nous devons la soutenir. L’objectif commun étant d’agir vite, fort, et massivement. Pour prolonger l’action et massifier le rapport de forces, une plateforme commune a été lancée : ilestencoretemps.fr , qui va de la pétition à signer aux prochaines marches pour le climat ce 13 octobre, jusqu’à une grande opération de nettoyage de la Société Générale le 14 décembre. Nous y serons.
Nous continuerons également à dénoncer l’hypocrisie de ceux qui surfent sur la vague de mobilisation, les « champions de la Terre » du capitalisme vert et des odes au point de croissance du PIB, ceux qui ne sont pas prêts à sortir des traités et de l’austérité alors que s’approchent les échéances européennes. Nous n’oublions pas surtout que les plus précaires de la planète sont toujours les premières victimes, et que les vrais coupables : l’oligarchie, les lobbies et ceux qui les financent, doivent être nommés et ciblés.
Notre Congrès, il y a trois mois, a décidé d’approfondir le travail sur l’écosocialisme. Son fondement politique – l’écologie n’est pas compatible avec le capitalisme-, sa critique du productivisme et des politiques libérales, n’ont jamais été aussi largement partagés. Il nous revient aujourd’hui de poursuivre la coopération avec les réseaux militants, associatifs, syndicaux ; de tisser de nouveaux liens avec les milieux universitaires, scientifiques, artistiques ; de resserrer et accentuer notre travail avec les mouvements climat, pour explorer l’articulation de notre projet et de nos pratiques militantes avec ce qui s’y débat : de l’action non violente à l’anthropocène, ou capitalocène, de la non-coopération au système à la collapsologie, des alternatives locales au risque d’effondrement. Si notre programme peut s’en trouver bousculé – comment parler encore de « transition » par exemple, au regard du saut à effectuer -, l’écosocialisme lui, en tant qu’alternative systémique et projet de société, reste un invariant. Une boussole politique précieuse pour ne pas se tromper d’ennemi – ni d’alliés – et garder le cap dans un monde en perte de repères.
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat.
Louis Aragon, La Rose et le Réséda (1943)