Dans une tribune publiée par l’hebdomadaire Marianne, Francis Daspe, responsable de la Commission nationale Éducation du Parti de gauche, revient sur la marchandisation de l’école en cours conduite par Blanquer.
Un projet pour l’école ne vaut que par son inscription concrète dans un projet de société clairement défini et le surplombant. Nous avons l’exemple de nombre de mesures qui ont produit les effets inverses des objectifs visés en raison de la non prise en compte du projet de société ou de son indétermination coupable.
L’ÉCOLE ET LE MARCHÉ
Il en va de la sorte de la question cruciale des savoirs. Trop souvent négligée, elle est de surcroît notablement instrumentalisée. Le savoir est la seule richesse qui augmente pour chacun quand on le partage entre tous. Cette réalité est à prendre en compte dès lors que l’on élabore un projet de société pour l’école. La majorité macronienne possède une conception particulière de cette question. Que vaut réellement le savoir dans la nation start-up promue par le président Macron ?
Pour la Macronie, en digne émule d’un libéralisme débridé et assumé, le savoir est avant tout une marchandise. C’est une matière première pour l’économie, dont le niveau davantage complexe et élevé permettant l’innovation et la plus-value doit faire l’objet d’appropriation privée dans le cadre de la compétition économique. Il en résulte logiquement une école à deux vitesses par le savoir : un savoir minimaliste et utilitariste pour une école du socle commun pour le vulgum pecus, un savoir plus développé et élaboré pour une élite triée sur le volet en fonction in fine de critères sociaux.
C’est que le savoir constitue également pour nos actuels gouvernants un levier de sélection sociale. Elle s’inscrit dans la logique des concepts explicités par Pierre Bourdieu de reproduction des dominations sociales et de privatisation de fait d’un capital culturel destiné à accumulation. La réforme de l’orientation post-bac dans le cadre de Parcoursup en offre une illustration éclairante. C’est en définitive l’école du tri social et de la résignation dans une perspective d’assignation territoriale et culturelle.
La macronie n’a pas pour horizon le partage du savoir dans une double perspective d’émancipation et d’égalité.
Le savoir se révèle enfin à l’usage comme un outil de conformation sociale. Les fondamentaux minimalistes visent le comportement et la morale. Les fondamentaux utilitaristes visent à l’employabilité immédiate et à une gestion économe de la force de travail. C’est l’école des compétences pour laquelle œuvre le ministre Blanquer avec ardeur, prolongeant en cela l’action de ses prédécesseurs. Elle vise à satisfaire le processus de dualisation du marché du travail, distinguant le prolétariat précaire des temps modernes des premiers de cordée voués à l’enrichissement sans guère de limites, en tout cas pas celles de la décence.
Selon le projet de société retenu, le savoir peut avoir des usages totalement opposés. Il peut en effet être un élément décisif de distinction sociale renforçant l’appesantissement des mécanismes de domination. Il peut au contraire se révéler une clé efficiente pour favoriser les conditions de l’émancipation individuelle et collective. La macronie n’a pas pour horizon le partage du savoir dans une double perspective d’émancipation et d’égalité. Elle a fait le choix de la privatisation, de la sélection et de la concurrence. Nous considérons au contraire que le savoir est un et indivisible, ne pouvant ni se segmenter en compétences ni se vendre à la découpe comme une marchandise. Contre tous les obscurantismes, au même titre que la laïcité, il est pleinement libérateur.
Le savoir doit être la pierre angulaire d’un projet de société instituant une école de l’émancipation et de l’égalité destinée au peuple.
Francis Daspe
Responsable de la Commission Éducation du Parti de gauche
Crédit photo : Jeanne Menjoulet –