Un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des Etats membres de l’Union monétaire ouest-africaine a été présenté en conseil des ministres mercredi 20 mai. Cet accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des Etats membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), signé le 21 décembre 2019 à l’occasion d’une visite de Macron en Côte d’Ivoire, remplace l’accord de coopération du 4 décembre 1973 (la monnaie elle-même ayant été créée en 1945).
Cet accord préserve les paramètres économiques clefs de stabilité monétaire de la monnaie de l’UMOA, à savoir la parité fixe de la monnaie commune avec l’euro et le soutien apporté par la garantie de la France.
Le Parlement français devrait adopter avant la fin du troisième trimestre le projet de loi paraphé en conseil de ministres.
Les modalités de la coopération monétaire entre la France et l’UMOA évoluent apparemment en profondeur :
• comme décidé par l’UMOA, le nom de la monnaie de l’UMOA, aujourd’hui le Franc CFA, évoluera pour devenir l’ECO.
• la France et l’UMOA ont également décidé de mettre fin à la centralisation des réserves de change de l’UMOA à Paris (environ 19 milliards d’euros) , en actant la suppression du compte d’opérations. Grâce à cet accord, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès du Trésor français, obligation qui était perçue comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France.
• la parité fixe avec l’euro du franc CFA, le futur ECO, doit être maintenue (1 euro = 655,96 francs CFA) mais ce point est appelé à évoluer lorsque la monnaie commune ouest-africaine verra le jour. La fabrication de la monnaie va rester en France.
• enfin, la France se retire de l’ensemble des instances de gouvernance de l’Union. Avec cette réforme, elle ne nommera plus de représentants au conseil d’Administration et au comité de politique monétaire de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), ni à la commission bancaire de l’Union.
La place de la France se transforme donc pour devenir celle d’un simple Garant financier. Dans cette optique, de nouveaux mécanismes sont prévus pour lui permettre de disposer de l’information nécessaire pour suivre et maîtriser le risque financier qu’elle continuera de prendre. Il s’agit notamment d’informations régulièrement transmises par la BCEAO ou de rencontres informelles avec les différentes autorités et institutions de l’Union. En cas de crise ou d’activation de la garantie, les liens se renforceraient pour permettre des échanges approfondis entre l’UMOA et le Garant, en particulier au sein du Comité de politique monétaire de la BCEAO. Le nouvel accord de coopération prévoit en effet qu’en cas de crise « sévère » (si le taux de couverture de la monnaie descendait en-dessous de 20 %, contre plus de 70 % en ce moment), « la France pourra désigner, à titre exceptionnel et pour la durée nécessaire à la gestion de la crise, un représentant au comité de politique monétaire de la BCEAO ».
La France cesse d’être co-gestionnaire mais demeure Garant financier.
Cette réforme qui n’est pas que cosmétique même si elle est insuffisante, donne le beau rôle à Macron qui a reconnu que le F CFA était « perçu comme l’un des vestiges de la Françafrique ».
Même si Kako Nubukpo semble se réjouir que les pays africains « récupèrent leur souveraineté monétaire » (nous pensions qu’ils n’en avaient jamais disposé), d’autres économistes africains contestent la portée de cette réforme, tel Demba Moussa Dembelé qui y voit une façon de « torpiller le projet de la CEDEAO ou de le retarder le plus possible » (relire les déclarations précédentes sur ce site : F CFA : la vigilance reste de mise 1,2,3).
Et en effet, la question en suspend est bien de savoir si et comment cette monnaie s’étendra par la suite à l’ensemble des quinze pays membres de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
D’ailleurs la ratification de l’accord par les parlements africains tarde. À ce jour, aucun des huit parlements concernés n’a procédé à cette formalité qui n’en est peut-être pas une. En raison de la crise sanitaire, bien sûr, mais aussi en raison de divergences sur l’évolution future de l’ECO.
De plus, il faudra que les comptes d’opérations du Trésor soient remplacés par une convention de garantie pour que la BCEAO soit libre de placer à sa guise les devises déposées au Trésor. Or beaucoup de pays veulent continuer à profiter, en partie, du taux de à 0,75 % offert par la France – à rebours des taux négatifs constatés sur les marchés européens – et qui a valu à la BCEAO une recette de 40,4 millions d’euros pour 6,3 milliards d’euros déposés fin 2019. Il sera nécessaire de créer des comptes à terme (un, deux ou trois ans) pour y loger les sommes placées. On comprend mieux la hâte soudaine de Macron à s’en débarrasser.
Les fondamentaux du système sont donc bien maintenus :
• certes il y a d’abord des symboles qui comptent. L’acronyme CFA a beau signifier, depuis 1960, « Communauté financière africaine », la rue africaine retient surtout le nom d’origine : le franc des « colonies françaises d’Afrique ». A l’aube du soixantième anniversaire des indépendances, il était plus que temps de tourner cette page.
• mais l’ECO reste indexé sur l’euro, donc, la logique monétariste demeure, tout pour la lutte contre l’inflation et rien pour l’investissement ; cela reste une monnaie pour oligarques et rentiers et ne répond pas aux défis sud sahariens nécessitant de gros investissement pour que la population puisse vivre dignement.
• cette réforme accélérée enterre le projet de monnaie unique de la CEDEAO puisque cela ne concerne que les 8 pays francophones. La France n’a pas envie de voir le Nigeria et le Ghana devenir les nouveaux maitres de feu son pré carré.
• la réforme ne concerne pas, pour l’instant, les six pays d’Afrique centrale, qui utilisent le franc CFA, mais forment une zone monétaire distincte, celle de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC). Sans oublier le Franc comorien.
Le Parti de Gauche se félicite de cette évolution même partielle et aime à considérer qu’il s’agit d’un premier pas vers une vraie souveraineté monétaire pour les pays africains. Mais la vigilance reste toujours de mise.
Le Parti de Gauche réaffirme que ce que demandent les peuples africains, c’est la souveraineté monétaire afin d’enclencher un vrai développement et non pas afin de préserver les intérêts de quelques autocrates prédateurs et de leurs affidés.
Commission Afrique du Parti de Gauche