Dimanche 28 mars 2021, pour clore son 5ème Congrès national, le Parti de Gauche a organisé une conférence internationale pour échanger sur les chantiers prioritaires de l’écosocialisme. Cette conférence est un point d’étape d’un large processus de rencontres, formations et conférences impulsé depuis 2020 dans le cadre des assises internationales pour l’écosocialisme. Ces dizaines d’activités auxquelles s’ajoutent les amendements très constructifs des adhérent.e.s en préparation du Congrès ont permis de converger vers un texte réactualisé du Manifeste pour l’écosocialisme adopté en Congrès national. Cette nouvelle version sera rapidement mise en circulation et soumise aux échanges qui vont se poursuivre dans le cadre des Assises.
Pour marquer cette première phase de travail et dresser les pistes d’approfondissement de la prochaine période des assises, le Parti de Gauche a reçu 7 invité.e.s.
- Daniel Tanuro, intellectuel, ingénieur agronome et environnementaliste, membre de la gauche anticapitaliste en Belgique
- Leïla Chaïbi, députée européenne France Insoumise
- Gülistan Koçyiğit, responsable de la diplomatie des femmes du HDP (Parti démocratique des peuples), députée de la province de Musç (Kurdistan de Turquie)
- Myriam Martin, Conseillère régionale d’Occitanie, membre d’Ensemble !
- Pablo Sanchez, membre du Mouvement européen pour l’Eau
- Anne Debregeas, ingénieure-chercheuse à EDF en prospective des systèmes électriques, syndicaliste à Sud Energie
- Ivan Pavletic, membre du mouvement chilien Frente Amplio et de l’Organización Política Social “Sumar” (nord du Chili)
La conférence était animée par Florence Poznanski, secrétaire exécutive nationale du Parti de Gauche.
Visionnez l’intégralité de la conférence ici :
Sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=h9mFteImtNA&ab_channel=LePartideGauche
Sur Facebook : https://www.facebook.com/partidegauche.national/videos/223738475906145
- Daniel Tanuro : « produire moins, transporter moins, partager plus »
Selon Daniel Tanuro, la pandémie est la manifestation la plus visible de la gravité de la crise écologique. Elle est la conséquence directe de la destruction de la biodiversité. Bien qu’il y ait toujours eu des zoonoses dans l’histoire humaine, nous faisons face, depuis une cinquantaine d’années, à une multiplication de ces phénomènes, résultant de processus capitalistiques tels que la déforestation, l’industrie de la viande et l’agrobusiness. Cette multiplication s’explique également par la vitesse accrue des liaisons internationales notamment aériennes et par les concentrations énormes de pauvreté humaine dans les mégapoles.
Daniel Tanuro explique que l’on ne viendra pas à bout de cette épidémie uniquement par des politiques de vaccination ou par des mesures sanitaires même si elles sont importantes. On ne pourra en venir à bout que par une politique à la fois écologique et sociale, une politique anticapitaliste et anti-productiviste. Nous devons prendre très au sérieux l’avertissement de l’IPBES nous alertant que nous sommes entré.e.s dans l’ère des pandémies.
Dans son dernier ouvrage « Trop tard pour être pessimistes », Daniel Tanuro avance une formule simple : « Produire moins, transporter moins, partager plus ». A cette formule, on peut ajouter l’idée qu’il faut produire autrement : sans nucléaire, sans fossile, sans pesticide toxique. Il devient nécessaire de produire en prenant soin du vivant et en respectant sa beauté, sa diversité. Ce ne sera pas possible sans une alternative anticapitaliste absolument radicale de type révolutionnaire.
Notre tâche est alors de rendre l’alternative écosocialiste désirable en avançant quelques idées simples : le mieux-être qui résultera de la conquête ou de la reconquête du temps, des territoires, l’épanouissement, la réalisation humaine authentique. Cela découle de la conquête de la décision collective démocratique, c’est-à-dire de l’autogestion, de l’autodétermination des travailleurs et travailleuses. Tout ça peut se regrouper sous l’idée de la conquête du commun.
Nous pouvons répondre à l’urgence écologique. Premièrement par le biais d’une politique sociale. C’est en assurant des retraites correctes à tous et toutes sur la planète et en défendant les droits des femmes à disposer de leur corps y compris par le droit à l’IVG qu’on peut agir sur la transition démographique de long terme. Deuxièmement par une réorganisation écosocialiste de la production. Il faut une telle réorganisation pour à la fois produire moins et travailler tou.te.s.
• Leïla Chaïbi : « la lutte contre le projet politique des plateformes numériques est une lutte écosocialiste »
Leïla Chaïbi est députée européenne de la France Insoumise engagée contre Amazon, Uber, Deliveroo et autres plateformes numériques. Ces plateformes incarnent le contre modèle auquel on s’affronte dans le cadre d’une lutte écosocialiste.
Leïla Chaïbi a d’abord été contactée par des syndicalistes qui dénonçaient des conditions de travail déplorables. Elle nous raconte comment, au fur et à mesure de ses recherches, elle s’est aperçue qu’elle n’affrontait pas seulement une entreprise sur le terrain des conditions de travail mais qu’elle affrontait un modèle qui était bien plus large. Chacune de ces entreprises agit pour détruire les droits sociaux, l’économie, l’environnement et la démocratie. Ces plateformes incarnent un projet global qui est l’aboutissement des évolutions du capitalisme, et les affronter c’est en même temps porter l’écosocialisme.
En France et partout dans le monde, les travailleurs/travailleuses peuvent être soit indépendant.e.s, soit salarié.e.s. Être salarié.e signifie avoir des horaires à respecter, avoir un patron nous disant quoi faire et pouvant nous sanctionner, mais la contrepartie de ce lien de subordination est que nous avons des droits et un accès à la protection sociale.
Être travailleur.euse indépendant.e signifie choisir ses horaires, ses tarifs mais en contrepartie il n’y a pas d’accès à la protection sociale et au droit du travail.
Il y a aujourd’hui des plateformes qui se présentent comme des plateformes de mise en relation entre un.e travailleur.euse indépendante et le client. Quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que les travailleurs.euses malgré leur statut d’indépendant.es ne le sont pas réellement, le lien de subordination existe. De cette manière, les plateformes ont trouvé le moyen de contourner les obligations qui sont celles d’un employeur. Les juges et tribunaux dénoncent bien l’illégalité de cette situation du fait du lien de subordination, et que, de ce fait, les plateformes devraient assumer leurs responsabilités d’employeur. Mais ces plateformes ne cherchent pas à se conformer au droit. Elles sont en train d’essayer de mettre en place une légalisation de la situation actuelle avec la mise en place d’un troisième statut qui aurait pour elles les avantages du statut d’indépendant et les avantages du statut de salariés et pour les travailleur.euses, les inconvénients des deux : il y aurait un lien de subordination avec un patron qui dirige mais sans les droits qui vont avec.
Par exemple, l’objectif de Jeff Bezos est d’être plus puissant que les États et au-dessus des lois. Avec son projet de conquête spatiale, son objectif n’est plus seulement de gagner de l’argent. Si on épuise les ressources de la planète, ce projet politique ne cherchera pas à se remettre en cause, mais à aller coloniser une autre planète.
Contre cela, des mobilisations s’organisent du local au global. Et cela pèse dans le rapport de forces. C’est là que s’incarnent les luttes écosocialistes.
• Gülistan Koçyiğit : « si la femme n’est pas libre, la société ne peut pas être libre »
Gülistan Koçyiğit est une députée kurde. Le Kurdistan s’étend sur quatre pays : l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie. Ce sont des zones de guerre violente, notamment le Rojava. Gülistan Koçyiğit nous explique qu’au Moyen-Orient, on considère qu’une une troisième guerre mondiale est en cours.
Cette nouvelle guerre, cette troisième guerre mondiale, cherche à pousser les peuples à entre-tuer en opposant une religion à une autre. Ces États impériaux veulent diviser les peuples avec un seul objectif : accentuer les profits du capitalisme, accentuer les profits des impérialistes.
Les peuples sur place, en particulier le peuple kurde, mais pas seulement, ont pris position ni pour l’un ni pour l’autre, c’est-à-dire ni pour Assad ni pour les Forces démocratiques syriennes de l’époque mais ont choisi une nouvelle voie pour lutter ensemble pour leur statut.
Ce projet politique qui a été mis en place est un rejet total du sexisme, c’est une mise en avant de la lutte de libération des femmes. C’est un projet politique écologique qui rejette justement la surproduction du capitalisme.
Le projet politique élaboré par Abdullah Öcalan dit que si la femme n’est pas libre, la société ne peut pas être libre. C’est la base principale de la Révolution. C’est pour cela que les femmes du Rojava, que ce soient les femmes kurdes, turques, arabes, syriaques, ou arméniennes qui habitent sur ces terres, ont compris que la liberté de la société vient avec la liberté de la femme, sans détruire la nature, l’écosystème et l’écologie.
Gülistan Koçyiğit nous explique que les femmes du Rojava n’ont pas attendu que la révolution arrive pour libérer les mentalités. Il est nécessaire de renforcer le mouvement de liberté de la femme pour justement rendre cette révolution féministe vivable et pérenne.
On peut résumer en disant que la révolution du Rojava veut rendre le pouvoir décisionnel au peuple à travers des assemblées populaires locales et renverser le triangle du pouvoir. Il faut rendre le pouvoir au peuple et rendre le choix de décision aux femmes.
Gülistan Koçyiğit conclut en disant que le HDP (Parti Démocratique des Peuples), son parti, se nourrit du même projet politique, des mêmes objectifs. Ils ont une critique très sévère envers le système en place mais ils ne s’arrêtent pas aux critiques et agissent en mettant en place un projet alternatif. C’est un projet multi-ethnique, multiconfessionnel, un projet de pouvoir vivre ensemble, de parité, de féminisme, d’écologie.
• Myriam Martin : contre le projet inutile de Port-La-Nouvelle, bâtir un projet alternatif qui préserve les emplois et la nature
Myriam Martin commence son intervention en insistant non seulement sur l’importance de combattre ce système prédateur mais aussi sur la nécessité d’inventer une nouvelle société, une nouvelle façon de vivre, une nouvelle façon de produire, de consommer, d’être citoyen.ne. Ces discussions sur l’écosocialisme sont donc des moyens, des outils pour bâtir la société de demain. C’est d’autant plus important qu’une bonne partie de nos concitoyen.ne.s dans le monde entier a pris conscience des conséquences graves de ce qu’est la mondialisation capitaliste, de la finitude de nos ressources. Le système capitaliste a fait des habitant.e.s sur terre, des prisonnier.e.s. d’un système.
En tant que conseillère régionale de l’Occitanie, Myriam Martin fait face à des combats emblématiques de projets qui ne devraient plus être menés. C’est notamment le cas du projet de l’extension d’un port : « Port-La-Nouvelle » en Méditerranée. Le projet est faussement présenté comme écologique. C’est une vision d’un capitalisme vert qui n’existe pas et avec laquelle il faut en finir.
Ce port va être agrandi non pas pour installer (comme c’était promis) des éoliennes offshores, mais pour accueillir plus d’hydrocarbures, donc pour importer plus de câbles, pour exporter du blé dur issu de l’agriculture productiviste vers l’Afrique du Nord, pour importer des céréales d’Amérique du Nord et pour importer de l’hydrogène prétendument vert. Alors que nous connaissons la nécessité de sortir des énergies carbonées, ce projet est une aberration. Il faut aussi arrêter la concurrence avec les pays d’Afrique du Nord qui pollue l’air, la terre et l’eau. C’est un projet destructeur pour l’écologie et l’argent nécessaire devrait être utilisé pour la transition énergétique. Il faut faire des propositions qui préservent nos ressources et permettent de développer une activité qui corresponde à l’intérêt général. Myriam Martin soutient le collectif de mobilisation qui s’est mis en place sous le nom de « balance ton port ». Notre projet alternatif doit répondre aux besoins sociaux, à l’emploi pérenne mais aussi à des nouvelles ressources pour pouvoir préserver celles qui sont aujourd’hui, celles de la nature.
• Pablo Sanchez : « L’eau doit rester un bien commun »
Le mouvement européen de l’eau dont est membre Pablo Sanchez est un réseau structuré en coordination avec diverses organisations à l’échelle locale, nationale et européenne, composé de syndicats, d’associations de consommateurs, de groupes écologistes ou environnementalistes et de groupes citoyens.
Pablo Sanchez revient sur l’époque où la Commission européenne proposait la libéralisation de toute une série de secteurs, notamment celui de l’eau. Une grande mobilisation européenne a eu lieu, de gros temps de lutte, et l’eau et la santé ont été exclues des traités. Aujourd’hui, ni l’eau et ni la santé ne font plus partie des règles du marché à l’échelle européenne.
Suite à ces luttes, toute une série de mobilisations assez importantes ont vu le jour ; des référendums citoyens à Berlin et en Italie, un changement de constitution en Slovénie, une grande mobilisation en Irlande qui a fait chuter le gouvernement, et des initiatives citoyennes au Portugal. L’une des plus grandes réussites aura été l’arrêt de la privatisation de l’eau à Athènes, en Grèce.
Les objectifs de cette lutte sont à la fois défensifs, lutter contre la privatisation de l’eau, mais aussi offensifs, réussir à re-municipaliser et construire des entreprises avec un contrôle des citoyen.ne.s et des travailleurs.euses. Le mouvement européen de l’eau s’oppose à cette marchandisation et exige une autre gestion, une gestion par et pour les usager.e.s et les travailleurs.euses.
Pablo Sanchez nous rappelle qu’il y a quelques années en Afrique du Sud à Capetown, la ville n’allait plus pouvoir fournir d’eau à ses citoyen.ne.s. Objectivement, on est dans une société qui pourrait fournir de l’eau à toute la population de la planète. Et malgré cela, on l’a vu pendant la pandémie, des grandes villes se trouvent en situation de détresse, d’où l’importance d’avoir des collectifs locaux et d’avoir une organisation européenne.
• Anne Debregeas : pour un secteur énergétique français 100% public
Anne Debregas est ingénieure-chercheuse à EDF. Elle est entrée dans le syndicalisme lorsque son entreprise a été mise en concurrence. En 1997, EDF était un service public qui fonctionnait plutôt bien sur un plan économique et technique, même si des critiques pouvaient être faites.
Peu de temps après, une directive européenne impose la mise en concurrence du marché de l’électricité et du gaz. Dès le début, cela a été perçu comme une absurdité. La mise en concurrence entraînerait des surcoûts inutiles avec des conséquences écologiques importantes. Malgré les retours d’expérience négatifs de l’étranger, également partagés par des personnes qui défendaient la libéralisation, la mise en concurrence s’est effectuée.
C’est ainsi qu’EDF, entreprise publique historique, a été transformée en une société anonyme menant à des objectifs davantage financiers. L’entreprise a été découpée. Puis, on a fait rentrer par la force des concurrents du privé.
Il n’y a évidemment pas eu de miracle. Le retour d’expérience d’ouverture des marchés (de 20 ans pour les entreprises et 14 pour les particuliers) est très négatif. Les prix ont énormément augmenté. Il y a maintenant beaucoup de démarchages, parfois très agressifs. Et surtout, on se retrouve dans une incapacité de faire face à la transition énergétique.
Il y a également eu une importante lutte contre la mise en concurrence des concessions sur les barrages hydroélectriques. La lutte s’est mise en place grâce à un grand travail d’éducation populaire, des rencontres avec des parlementaires et des élu.e.s, des documentaires, des débats qui ont mené à une victoire puisque ces barrages n’ont finalement pas été mis en concurrence.
Actuellement une autre lutte est en cours : Le projet Hercule, qui vise à démonter EDF et à nationaliser la partie des filières historiques de production nucléaire et thermique et à ouvrir à la privatisation les énergies renouvelables. De nouvelles rencontres et débats vont avoir lieu pour expliquer l’aberration de ce système. Deux options restent possibles : livrer le système électrique à des multinationales ou garder la main sur ces secteurs stratégiques avec un système 100% public. Il faut une planification fine. Il est nécessaire d’impliquer les citoyen.ne.s avec des instances élues, des contrats de services publics, des contre-pouvoirs, des instances de contrôle.
L’énergie, comme le reste, doit être détenue et pilotée par les citoyen.ne.s. Il faut une maîtrise de la consommation pour aller vers plus de sobriété et d’efficacité.
• Ivan Pavletic : la constituante pour tirer un trait sur le néolibéralisme et l’appropriation privée des ressources naturelles
En 2019, au Chili, une phase intense de révolte sociale et rébellion populaire s’est produite. Une mobilisation de plusieurs millions de personnes contre le régime politique et économique néolibéral a éclaté au Chili contre le gouvernement dans le but de stopper ce régime qui avait débuté sous la dictature de Pinochet.
Cette mobilisation citoyenne demande la fin du modèle de privatisation et de commercialisation des droits sociaux au Chili, principalement au niveau de l’éducation, la santé et la retraite.
Le Chili est probablement le pays du monde où le néolibéralisme a développé le plus grand processus de privatisation des services publics.
Cette constitution établit et permet le cadre normatif et juridique du modèle capitaliste néolibéral au Chili, qui est actuellement le cadre économique dominant. La constitution de 1980 a perdu sa légitimité, remettant en cause la durabilité du régime politique néolibéral actuel. Les représentant.e.s politiques de la classe dominante ont été forcés d’ouvrir le processus pour une nouvelle constitution en novembre 2019, suite à cette révolte populaire.
En octobre 2020, près de 80% des électeurs/électrices ont plébiscité et approuvé ce processus vers une nouvelle constitution par le biais d’une convention constituante.
Le 11 avril prochain, les délégué.e.s de la convention constituante seront élu.e.s pour élaborer une nouvelle constitution.
Au Chili, le néolibéralisme a imposé un modèle extractiviste et l’appropriation privée des ressources naturelles telles que l’eau, les sols, l’air, la mer, les ressources minières, l’énergie et autres, qui sont allées en majorité aux mains des grandes entreprises et des multinationales. L’objectif est de faire en sorte que toutes les ressources naturelles soient protégées et sous le contrôle du peuple.
Les mobilisations environnementales engagées par les citoyen.ne.s ont généré au cours des décennies des avancées et des changements institutionnels et juridiques dans les politiques environnementales de l’État qui ont contribué au développement de la conscience écologique citoyenne et démocratique, qui est en constante croissance dans le pays.
Article rédigé par Lola Rodriguez