A un moment où les tensions que nous baptisions « Est vs Ouest » au temps du « rideau de fer » et de la première « Guerre froide » resurgissent avec une acuité inédite depuis cette époque, il apparaît utile d’envisager le point de vue de la Chine dans ce contexte précis. Il importe d’autant plus de le prendre en compte avec objectivité que nous traversons une période que l’expérience nous a appris à reconnaître comme très propice à une active désinformation à son sujet dans l’ensemble de nos médias. La proximité des Jeux Olympiques d’hiver qui doivent s’ouvrir à Pékin le 4 février prochain va donner (et donne déjà) lieu aux diverses formes de dénigrement qu’on a vues fleurir à qui mieux mieux au printemps 2008 lors des préparatifs des précédents JO de Pékin. Certes ces jeux auront lieu dans une région semi-aride et peu enneigée, ce qui donnera lieu à une production coûteuse de neige artificielle mais notre presse nationale aux ordres ne se livre-t-elle pas ces dernières semaines à un pilonnage en règle et souvent sans réel fondement avéré ?
A l’Ouest, donc côté étasunien, on ne chôme pas non plus dans le cadre des affronts faits sciemment à la Chine : non seulement les rumeurs de boycott de ces Jeux d’hiver vont bon train, mais Joe Biden vient de lancer sa grande opération « pro-démocratie » des 9 et 10 décembre qui ne vise qu’à mettre au ban de la planète la Chine et la Russie ! Si par hasard l’on s’interrogeait sur la pertinence de ce « Sommet virtuel de la Démocratie » rassemblant 110 pays sous la houlette de la Maison Blanche, qu’on ne cherche pas plus loin : Taïwan est très officiellement convié à ce raout ! Ce qui n’est rien d’autre qu’une provocation consciente et caractérisée envers Pékin. Et c’est le but recherché.
Il est vrai qu’elle s’affirme comme une puissance militaire équipée de matériels performants, mais comment lui reprocher d’user de ce moyen dans un contexte d’affrontement entre puissances et alors que les Etats-Unis ont des capacités militaires largement supérieures aux siennes. La Chine n’a aucun intérêt à la guerre. Il est évident qu’elle ne la ferait que si tous les recours de préservation de la paix étaient épuisés.
En ce mois de novembre 2021, vient de se tenir à Pékin le VIe Plenum du XIXe Comité Central du Parti Communiste. Comme c’est aussi l’année des 100 ans du Parti, les délégués à cette assemblée ont voté une exceptionnellement longue Résolution dans laquelle est retracée toute l’histoire de la Chine au XXe siècle et en ce début de XXIe siècle. On peut y lire comment, à travers avancées spectaculaires, tâtonnements, erreurs, rétablissements, mesures innovantes et parfois aventureuses, le PCC a relevé la Chine, l’a sortie du sous-développement et de sa dépendance d' »homme malade de l’Asie » pour la mener jusqu’à ce présent où se dessine désormais clairement qu’il existe une voie ouverte, praticable et balisée se réclamant d’un « socialisme aux caractéristiques chinoises » dont seuls d’irréductibles adversaires peuvent nier les réussites. La réussite économique est celle qui déborde ses frontières avec le plus d’évidence. Mais il faut y ajouter les progrès militaires, les avancées spectaculaires dans les domaines de la conquête de l’espace, des technologies de pointe, de l’éducation, de l’assurance-santé et surtout de la sortie de la pauvreté d’une très grande majorité de la population.
Le texte de cette Résolution a le mérite de ne pas sous estimer les problèmes et les erreurs qui ont jalonné le parcours pas plus qu’il ne décrit tout à fait un « meilleur des mondes » définitivement assuré. La souffrance du peuple chinois est enfin reconnue sur la période allant de 1958 (date du Grand Bond en avant) à 1976 (fin de la Révolution Culturelle). Le passage concerné est très court et infiniment moins détaillé que le reste mais son contenu est sans équivoque : le camarade Mao est mis en cause, ses « erreurs » sont pointées et, si le Grand Bond peut se contenter d’être taxé d’aventurisme –il avait déjà été critiqué par un Plenum en 1959–, la Révolution Culturelle est clairement et nommément qualifiée de « désastre« . Une grande première !
La société chinoise n’est certainement pas parfaite : elle a, comme toutes les sociétés, ses contradictions et ses manques, mais personne ne peut nier qu’elle a accompli un des bonds les plus spectaculaires que l’histoire humaine ait connus. Depuis 1949, sa population est passée (malgré la loi sur l’enfant unique) de 600 à 1400 millions. Si le PCC n’a pas encore réussi à réduire les fortes inégalités que le système de capitalisme d’Etat mis en place a générées, au moins est-il parvenu en 70 ans, dans un pays multiethnique grand comme 18 fois la France, à sortir la quasi totalité de la population de l’ornière de la malnutrition, du manque de soins médicaux, de l’illettrisme et du total dénuement. Nous avons sans doute du mal à mesurer l’immensité de cette tâche parce qu’elle échappe à notre échelle, mais l’exploit est hors normes. Et, autre prouesse, cet exploit s’est accompli en ne cessant de s’adosser à la riche et multimillénaire culture chinoise. « Marcher sur ses deux jambes », disait Mao. Pour y parvenir, la Chine use de son inusable pragmatisme : emprunter au capitalisme mais le garder sous contrôle par l’étatisation de l’économie au niveau global.
On le sait déjà, Xi Jinping sollicitera une prolongation de son mandat de N°1 de l’Etat chinois lors du XXème Congrès du PCC et ce hors des limites (2 mandats) fixées par la Constitution. Il est probable (sauf coup de théâtre) que cette entorse sera entérinée au prochain Congrès. Renforcement de la dictature, nous dira-t-on ! Vrai. Comment savoir, sans élections, si la population en est d’accord ? Objection valable. Mais la feuille de route programmée jusqu’en 2050, année qui marquera le centenaire de la République Populaire, est, selon tous les indicateurs, de nature à satisfaire les aspirations prioritaires du peuple vers une Chine « grande » et universellement respectée, vers un bien-être matériel accru et vers un coup d’arrêt à toutes les dérives « mafieuses » (corruption, népotisme, malversations…) auxquelles se sont livrés parfois quelques cadres d’un Parti que Xi Jinping a entrepris de diriger désormais (sans s’en tenir à de belles paroles) d’une main de fer.
Depuis quelques années, le programme de Xi Jinping a été baptisé « Le Rêve chinois« . C’est celui d’une Chine authentiquement socialiste, pacifique, ouverte sur le monde, puissante sans arrogance, consciente de son devoir écologique (elle a fixé sa neutralité carbone à 2060), avec Taïwan réintégrée dans la mère-patrie. Une Chine consciente de sa responsabilité dans un monde compliqué, jouissant d’un bien-être matériel accessible à tous tant à la campagne qu’en ville. Enfin, une population éclairée et consciente des enjeux nationaux et mondiaux et d’un très haut niveau de culture et de moralité. Fidèle à la fois au marxisme, aux aspirations du peuple et à sa culture traditionnelle. Utopique ? Peut-être, mais force est de constater que ce programme est bel et bien d’ores et déjà mis en œuvre et qu’il a des effets que chacun peut constater s’il est de bonne foi. Parfois même, pour un peu, la Chine nous ferait envie par l’efficacité des décisions à son sommet : songeons aux fermes et très musclées remises dans le droit chemin que Pékin vient de s’autoriser envers ses super riches qui en prenaient un peu trop à leur aise dans la goinfrerie, à son coup d’arrêt contre les cours privés payants pour les réaligner avec le service public et son coup de semonce contre les abus des fabricants de jeux vidéo et leurs utilisateurs mineurs. Une efficacité qui prend un air répressif attentatoire aux libertés lorsque la technologie permet de mettre la population sous contrôle. Par ailleurs, l’affirmation très souvent répétée dans le document du caractère multiethnique de la Chine reste à démontrer par le respect des cultures des peuples non han.
Nous n’ignorons pas non plus la forme d’impérialisme continental visant à reconstituer la grande Chine que prend de plus en plus la diplomatie chinoise mais Trump ne voulait il pas annexer le Groenland ? Nous n’ignorons pas non plus la mise sous tutelle financière de nombreux pays africains par une Chine soucieuse de garantir ses sources d’approvisionnement. De la même façon la Chine ne pourra continuer indéfiniment à être l’usine du monde qu’a fabriqué le capitalisme mondialisé ; une usine qui détruit son environnement et qui nuit aux travailleurs des autres pays développés ou non. De tout ceci il faut discuter avec la Chine afin de réviser les grands équilibres mondiaux actuellement pervertis ; la Chine le sait très bien.
Notre siècle va devoir compter avec la Chine. C’est une nation qui a le sens de ses responsabilités sur l’échiquier mondial et qui n’a rien d’un pays va-t-en guerre. Souvenons-nous toujours qu’elle n’est pas notre ennemie !
Danièle Hainaut et Pierre Boutry