Le gouvernement Macron avec ce troisième référendum anticipé nous a refait le coup du référendum Pons de 1987. En refusant d’écouter les demandes de report à une date au-delà de l’élection présidentielle française de 2022, le gouvernement crée les conditions d’un retour à la situation prévalant avant la table ronde de Nainville-Les-Roches en 1983 présidée par Georges Lemoine. Une situation de blocage, potentiellement explosive, qui annihile tous les efforts faits durant ces trente ans pour préparer le territoire vers un avenir différent du passé colonial, puis néo-colonial.
La consigne du camp indépendantiste était tout simplement la non-participation, pas le boycott actif. Côté non-indépendantiste, on se réjouit déjà en proclamant qu’avec ce vote c’est la fin des accords de Nouméa, ce qui est faux puisque ces derniers (rappelons que ce sont des accords de décolonisation !) prévoient une période assez longue de tables rondes afin de préciser le nouveau statut du territoire. Mais le camp non-indépendantiste n’a de cesse de vouloir rompre le gel du corps électoral et de réintégrer les 40000 inscrits du tableau annexe.
Quant au gouvernement français, il est clair qu’en donnant deux signaux successifs, à savoir le document oui/non examiné entre le 25 mai et le 3 juin 2021qui mettait surtout l’accent sur les conséquences « négatives » du oui au référendum, puis cette précipitation à forcer le destin en avançant la date de ce référendum au 12 décembre 2021, il affiche clairement sa non-neutralité, son choix du rejet de toute indépendance, son idéologie de la possession de territoires à exploiter.
La déclaration de Macron commentant les résultats du référendum est un sommet d’hypocrisie et d’arrogance : il prend acte de la victoire du Non selon les vœux des non-indépendantistes et va jusqu’à affirmer que la base du projet de société sera la Calédonie dans la France et dans son axe géostratégique indopacifique. Tout cela en faisant comme si le peuple kanak n’existait plus ! L’utilisation de concepts Kanak comme « respect » et « humilité » ne trompe aucun Kanak qui sait pertinemment que l’usage du mot ne suffit pas à mettre en pratique le concept.
Le faux-référendum du 12 décembre avec un taux de participation de 43,90 % (en 2018: votants 81,01%, en 2020 : votants 85,69%), est d’une part illégitime, d’autre part il n’a aucune signification quant à son résultat biaisé. 59% d’abstention sur une population composée de 41% de Kanak (qui se sont abstenus à 90%) : c’est une victoire du peuple Kanak mais cela veut dire aussi que plus de 20 % de l’électorat non Kanak ne s’est pas rendu aux urnes, pour certains par solidarité ou avec un sentiment de malaise par rapport à la campagne du camp du Non, laquelle a usé de tous les arguments pour enfoncer le camp du Oui qui se trouve être celui du peuple premier de ce pays. Mais c’est aussi très certainement une prise de conscience que ce pays sans l’accord du peuple Kanak ne peut évoluer, se développer et devenir un pays en commun.
« Le tourner la page » ou « passer à autre chose », slogan de campagne des non-indépendantistes pour la plupart de droite extrême ou d’extrême droite, a été répété inlassablement au niveau des médias, ne correspond pas à la réalité juridique qui veut que la loi organique adoptée en 1999, continue à encadrer les institutions tant qu’il n’y a pas de changement de la Constitution. L’accord de Nouméa court normalement durant la période transitoire, jusqu’au référendum, projet prévu par Macron, c’est-à-dire en mi-2023. Cela signifie que le gouvernement et le Congrès de la Nouvelle-Calédonie doivent poursuivre le travail.
Le Conseil d’État, la Cour Européenne des droits de l’homme et les Instances Internationales en particulier le comité C24 de décolonisation de l’ONU, seront obligatoirement saisis sur la légitimité du scrutin d’autodétermination et des conditions de son déroulement (choix de sa date et déroulement de la campagne) et du résultat ainsi que sur l’égalité des électeurs du Oui et du Non et le respect des règles de démocratie. Le référendum de projet envisagé dans la feuille de route de Lecornu-Macron en 2023, en sera automatiquement impacté dans sa nature et le ou les hypothèses institutionnelles qu’il proposera. Macron sera contraint de donner au référendum de projet le statut du 3ème référendum d’autodétermination, c’est le vœu que nous formons. Dès lors, il faudra écrire un nouveau document engageant l’État Français sur « les conséquences du choix du Oui et du Non » rédigé avec l’accord des indépendantistes et progressistes et du peuple Kanak sur la base de son projet de société.
Car le projet porté par le FLNKS aujourd’hui est l’indépendance association ou en partenariat. L’ « indépendance rupture » présenté dans le document de l’État sur les conséquences du Oui et du Non, n’était pas conforme à l’esprit des deux accords de Matignon et de Nouméa. Il en est de même du projet d’hyper-provincialisation porté par les non-indépendantistes qui organiserait une partition de fait du pays. D’ici septembre 2022 et l’installation du nouveau Président Français et son Gouvernement, aucune discussion sur l’avenir institutionnel du pays ne sera possible, Lecornu vient de le comprendre.
Le gouvernement qui émergera de la prochaine élection présidentielle devra réunir au plus vite les acteurs afin d’ouvrir un nouveau processus devant déterminer clairement les nouvelles règles du jeu pour la période qui s’ouvre, en parallèle avec une réflexion approfondie rassemblant de façon inclusive tous les acteurs, devant déboucher sur un, deux ou trois projets émancipateurs sur l’avenir de la Nouvelle Calédonie. Les Kanak et les Calédoniens doivent se mettre d’accord entre eux et dire à l’Etat français ce qu’il doit faire. Avec un horizon de deux ans pour un nouveau référendum se substituant au référendum forcé du 12 décembre, auquel cas la question pourrait ne plus être de répondre « oui » ou « non » à l’indépendance, mais de choisir le Nous inclusif entre deux ou trois options excluant a priori le statu quo.