UE : la « nouvelle » PAC ne préserve pas notre souveraineté alimentaire et reste délibérément productiviste et anti-bio
L’UE a adopté une « nouvelle » politique agricole commune pour la période 2023 à 2027.
Le tiers du budget total de l’UE étant consacré à la PAC, il est important de s’y arrêter. Avec 386,7 milliards d’euros pour 2023-2027, le budget de la PAC augmente de 1,6 % par rapport à la précédente période budgétaire. Pour la France cela représente environ 9,4 milliards d’euros annuels à percevoir sur cette période.
La politique agricole européenne est constante depuis l’origine de la PAC à savoir servir un modèle agricole productiviste. La PAC était sensée accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique et assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole ; or, ¼ des agriculteurs survivent avec beaucoup moins que le SMIC et le nombre de suicides parmi eux ne cesse d’augmenter (1 par jour en France). La PAC était sensée stabiliser les marchés, en évitant notamment la surproduction et garantir la sécurité des approvisionnements ; dans les faits, 100 000 tonnes de viande bovine et 18 000 tonnes de volailles supplémentaires ont été importées du Mercosur, sans aucune garantie sur les conditions d’élevage. La PAC était sensée assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs et pourtant la grande distribution et l’industrie agroalimentaire n’ont cessé d’augmenter leur mainmise sur les producteurs, et les ont appauvris. Enfin, la PAC s’est avérée catastrophique pour les plus petits agriculteurs : concentration, rachats de terres par les plus gros, augmentation de la monoculture.
La France perd 3% de ses exploitants tous les ans et 6 millions d’hectares de terres agricoles ont disparu du paysage depuis 1960. 80 000 tous les ans, sont absorbés par l’urbanisation, les super et hyper marchés. Les intrants ont augmenté de 25% sur les dix dernières années, de 40% depuis 1960. Selon les chiffres officiels, les trois quarts des 36 000 agriculteurs bio en France, soit près de 27 000 paysans, ont subi des retards de paiement des « aides spécifiques au bio » de l’UE ! Enfin, 17% des produits bio importés et « contrôlés » sont non conformes au cahier des charges.
La nouvelle PAC serait, selon l’UE et le gouvernement français, plus équitable pour les agriculteurs, plus verte, plus scrupuleuse sur le contenu des produits finissant dans nos assiettes. Qu’en est-il dans les faits ?
Pour la première fois, la PAC inclura une conditionnalité sociale… Mais il n’existe pas « d’Europe sociale », et le droit du travail, de la protection sociale, les salaires diffèrent selon les pays. Les États membres redistribueront au moins 10 % des aides au profit des petites exploitations et ils devront indiquer dans leur plan stratégique comment ils comptent s’y prendre…Mais rien ne change: les aides seront toujours octroyées massivement aux plus producteurs ! La nouvelle PAC favorisera la transition vers une agriculture plus durable, grâce à des ambitions supérieures en matière de climat, d’environnement et de bien-être animal et les conditions minimales que les bénéficiaires de la PAC doivent remplir pour recevoir des aides sont désormais plus exigeantes. En réalité, pour 70% des exploitations c’est déjà le cas. Les jachères existantes ne verront pas leurs surfaces augmenter, pas plus que les surfaces de haies, enherbement et autres. Un point positif : l’obligation de rotation qui est désormais imposée et augmentera sur les années du plan. Rien ne dit par contre que les aides pour des programmes agro-environnementaux seront versées aux agriculteurs puisque bien d’autres peuvent y prétendre (collectivités, associations, entreprises…). Favoriser le bien-être animal ? Pourquoi alors ne pas mettre en place un véritable plan de revitalisation d’abattoirs de proximité ou mobiles, favorables aux agriculteurs fermiers, à la place des abattoirs usines des agro-industriels ? Pourquoi aucune nouvelle mesure sur l’augmentation de l’espace minimal dédié à chaque animal dans les élevages n’est-elle proposée ? Enfin, un plan d’action vise à consacrer au moins 25 % des terres agricoles de l’UE à l’agriculture biologique d’ici 2030. Actuellement, seuls 8,5 % des terres agricoles sont consacrés à l’agriculture bio dans l’UE. Mais cette orientation n’est pas contraignante pour les États, c’est-à-dire que chaque pays pourra inclure ou pas ce volet dans son Plan Stratégique National (PSN).
Cette « nouvelle » PAC n’est donc qu’enfumage de vagues recommandations et satisfait pleinement le lobby agricole productiviste c’est-à-dire très peu d’agriculteurs.
En matière de souveraineté alimentaire, la PAC constitue l’antithèse de ce à quoi beaucoup de citoyens aspirent. L’agriculture française a vu son solde d’exportation baisser de 50% en 5 ans (2015/2020), les importations agricoles doubler depuis 2000, 20% de notre alimentation est aujourd’hui importée : 50% des fruits et légumes, 25% de la viande de porc, 48% des volailles. Rien dans la nouvelle PAC ne préfigure une orientation différente sur le fond, ni un changement de comportement à propos de l’utilisation de pesticides par exemple. Au mieux, il faudra attendre 2030 pour espérer, peut-être, voir ces intrants disparaître ou très fortement diminuer.
En matière économique, les bases essentielles du marché, donc du libre-échange, donc du moins disant social et environnemental, continueront de définir les règles de base des productions et des prix des produits agricoles. La règle restera non pas celle de l’alimentation des populations au plus près du lieu de production, respectant les cultures vivrières, mais bien celle qui privilégie le marché organisé au niveau mondial, en particulier sur la variation des prix des produits, créée artificiellement, souvent par spéculation boursière. Continuant d’être régis par les lois du marché, les produits agricoles n’auront donc pas pour but essentiel de rémunérer correctement les producteurs mais de continuer à servir les intérêts du machinisme agricole, de l’agroalimentaire et le secteur de la grande distribution.
En matière de bio, les producteurs bio sont les grands perdants. Seules les aides à l’installation en bio perdureront (lors de l’installation ou de la conversion) tandis que les aides perçues par les agriculteurs en bio, qui étaient versées durant 5 ans sous l’ancienne PAC, vont disparaître. Conséquence : la « nouvelle » PAC sonne le glas de bon nombre de petites exploitations bio qui venaient de s’installer ou de se convertir lors des dernières années. Il a fallu que la Commission européenne, dans sa lettre d’observations adressée fin mars à Paris, exige un « verdissement » du plan agricole français pour que le gouvernement infléchisse sa position : désormais l’écorégime, le nouvel outil qui rémunère les pratiques favorables au climat et à la biodiversité, sera plus élevé de 30 euros par hectare pour les exploitants en agriculture biologique par rapport à ceux qui sont dans la démarche haute valeur environnementale (HVE) moins contraignante. Mais ceci ne sera pas suffisant pour atteindre l’objectif de doubler à 18% de la surface agricole d’ici à 2027.
En matière de renouvellement des générations d’agriculteurs, même si on note une augmentation de l’aide forfaitaire à 5000 euros indépendamment de la taille de l’exploitation et cumulable en cas de nouveaux entrants, ceci est largement insuffisant pour garantir le renouvellement générationnel : seulement 5% des agriculteurs en Europe ont moins de 35 ans ! Les aides à la surface ne peuvent suffire, il faudrait des aides à la personne plus incitatives.
En matière de préservation de la ressource en eau, cette « nouvelle » PAC nous maintient dans un chemin catastrophique de surconsommation hydrique sous prétexte que seule une agriculture industrielle peut nourrir la population, ce qui est faux et attesté par la FAO elle-même : 80% de la production mondiale est réalisée par l’agriculture familiale. Seule une agroécologie (pas de pesticides, des fermes de polyculture, des associations de plantes, reboisement, couverture du sol) associée à une réduction de la consommation de viande et à des circuits courts, permettrait et de nourrir sainement la population et de préserver la ressource en eau afin qu’elle ne tombe pas entre les mains des intérêts privés dans le cadre d’un « marché de l’eau ».
Rien sur l’adaptation à la sécheresse, rien sur la nécessaire diminution des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture, rien ou presque sur la nécessaire réduction du recours aux engrais azotés.
En réalité, la « nouvelle » PAC ne dévie en rien du dogme agricole de l’UE depuis l’origine. Seuls des ajustements à la marge apparaissent et les vraies questions subsistent. Pour basculer dans une production agricole et une alimentation plus saine et rémunérer correctement les agriculteurs fermiers qui s’engagent ou s’engageront vers cette voie, seul un changement complet de politique peut permettre de sortir de l’impasse productiviste dans laquelle nous nous trouvons. Il faut repenser le modèle agricole et reconsidérer la façon dont les produits agricoles (plus sains) seront payés aux agriculteurs. Cela implique que l’industrie agro-alimentaire et la grande distribution soient sérieusement bordées : elles ne doivent plus définir les prix minimum d’achat des produits et à l’autre bout de la chaîne le prix de vente aux consommateurs. Les agriculteurs sont actuellement pris en tenaille entre l’amont de leur production avec la mécanisation à outrance profitable essentiellement aux industriels du machinisme agricole et en aval avec la mainmise de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution. Il faut donc casser ces monopoles capitalistes pour les intégrer dans des filières où l’État aura son mot à dire.
Le Parti de Gauche réaffirme l’urgence d’une bifurcation rapide du domaine agricole et la remise en cause du dogme productiviste qui nuit aux agriculteurs et aux consommateurs et qui de plus se révèle être destructeur de l’environnement. La « nouvelle » PAC ne fait évoluer qu’à la marge ce dogme là où il faudrait mettre en œuvre une réorientation complète des soutiens et procéder à un nouvel aménagement du territoire.