Jacques Delors, grand responsable de la dérive antisociale européenne

Jacques Delors qui s’est éteint le 27 décembre dernier à 98 ans, fut président de la Commission européenne (1985-1995). Si Delors n’a pas été à l’origine de la construction européenne, il s’inscrit dans le sillage des fondateurs de l’Europe vaticane en ce qu’elle est une création des démocrates-chrétiens, agents du capitalisme et du Vatican comme Schuman, Monnet, De Gasperi et Adenauer. Delors lui a donné un coup d’accélérateur décisif : le marché commun du traité de Rome devient le marché unique – institué par l’Acte unique européen de 1986 entré en vigueur en 1992, puis l’Union européenne avec le traité de Maastricht qui entre en vigueur en 1993.

Rappelons qu’il fut d’abord celui qui a accompli le tournant de l’austérité en 1983 avec un Mitterrand  ayant renoncé à réaliser une politique vraiment socialiste en France et qui  se tourne vers l’Europe, en faisant le pari qu’en recréant un marché à cette échelle, il sera peut-être possible d’y mener des politiques keynésiennes, parce que la contrainte commerciale avec l’Allemagne disparaîtra. Les conséquences de ce  tournant sont considérables. Les priorités de politique économique se renversent, au profit du respect des grands équilibres et de la restauration de la profitabilité des entreprises. La « désinflation compétitive » est la nouvelle stratégie en vigueur pour au moins quinze ans. Elle se traduit par du chômage de masse, la fin de la réduction des inégalités (qui avait perduré jusqu’en 1982) et la modification brutale de la répartition de la valeur ajoutée aux dépens des travailleur.se.s. 

Concernant le rôle de Delors au niveau européen, il est certes possible de mettre à son crédit la création des programmes de mobilité étudiante Erasmus et Leonardo, l’essor d’une politique régionale dite de cohésion – sorte de plan Marshall permanent de soutien aux régions et aux pays les moins prospères ou en crise, l’instauration d’une politique européenne de Recherche et Développement (R&D) très bien financée (PCRDEspritEureka, bientôt suivis d’Airbus, de Galileo et du spatial en lien avec l’Agence spatiale européenne), le renforcement progressif des pouvoirs du Parlement européen  et son implication dans la création de l’euro. 

Mais nous retiendrons surtout qu’il mit en place le marché unique jouant un rôle déterminant dans la dérégulation des marchés financiers en poussant la libéralisation bien plus loin que ne le prévoyait à l’origine le programme de marché unique et qu’il engagea la signature des accords de Schengen, une aberration dont nous constatons chaque jour les conséquences sur l’accueil des migrant.es. 

Il a créé par le droit un marché à la taille de l’espace européen à la mode allemande ordo libérale  c’est-à-dire un marché institué, régulé et encadré. Il s’est agi de mettre fin, d’une part aux obstacles non tarifaires au commerce entre pays (c’est-à-dire autres que les droits de douane : des règlements nationaux ou régionaux utilisés à des fins protectionnistes) et d’autre part aux monopoles d’État sur la production et la distribution de l’électricité, du gaz, du courrier postal, des télécommunications, des communications terrestres (routières, ferroviaires, fluviales) et aériennes. 

Non Delors n’est pas celui qui a « réconcilié véritablement la France avec l’Europe », et « l’Europe avec son avenir » comme le prétend Macron. 

Non il n’avait pas une « intuition visionnaire » mais s’il fut celui qui réussit à faire que les institutions travaillent ensemble, il reste surtout le symbole de la capitulation social-démocrate devant le capital, il a détruit les services publics (de l’énergie en particulier) et il a sapé les possibilités de construire une alternative face au rouleau compresseur néolibéral.

Au cours de ces deux périodes clés de sa « carrière », il est devenu le symbole des noces idéologiques entre démocratie chrétienne et social-démocratie, et de leur perturbation par le logiciel néolibéral. Avec l’État et la négociation collective, le marché est en effet selon Delors « le pôle d’un triangle magique ». On retrouve ici une volonté de conciliation et d’apaisement dans laquelle devait se diluer la lutte des classes – ce qu’il qualifiait de chemin vers une « économie mixte ». C’est la grande illusion de Delors.

Car l’Europe n’est plus vraiment la priorité pour les élites économiques : elles ont eu ce qu’elles voulaient et vont aller investir ailleurs. C’est le paradigme néolibéral qui triomphe au détriment des politiques de correction du marché (taxation, redistribution ou négociation collective) rendues plus difficiles à mettre en œuvre au niveau national ou à créer au niveau européen. Quant aux défis climatiques et environnementaux ils ne furent jamais pris à leur juste hauteur. C’est donc le grand échec de Delors.

Au lieu d’une fédération d’État-nations coopérant sur la base de la subsidiarité, son grand dessein européen a aujourd’hui le visage d’une Union Européenne à la fois hiérarchisée, fragmentée et abritant des rapports sociaux fortement défavorables aux catégories populaires.

Pas d’Ode à la joie pour Delors !

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