Le 10 avril, le Parlement européen a voté à une très large majorité la directive et le règlement qui composent le paquet pharmaceutique, proposant des amendements aux textes présentés par la Commission européenne en avril 2023.
Les États membres pourront maintenir ou adopter des règles nationales lorsqu’elles garantissent un plus haut degré de protection contre les pénuries de médicaments que les règles européennes. Les infractions aux obligations en matière de lutte contre les pénuries feront l’objet de sanctions, qui pourront être adoptées au niveau national. Les pharmacies pourront faire des préparations magistrales, officinales et hospitalières. Toutes les aides publiques directes et indirectes, y compris les crédits d’impôt, les financements provenant d’organismes publics en dehors de l’UE et les fonds fournis par des organismes sans but lucratif ou philanthropiques, devront être rendues publics par les industriels lorsqu’ils ont contribué au développement de médicaments couverts par une autorisation de mise sur le marché (AMM) nationale ou européenne. Mais le parlement européen a refusé que toutes les pénuries de médicaments soient notifiées, sans exception, et qu’une transparence totale de tous les coûts de recherche et développement soit exigée.
La protection de la propriété intellectuelle des médicaments, qui influe sur leur prix puisqu’elle crée un monopole légal qui met les industriels en position de force pour négocier, a été l’un des points les plus débattus au Parlement européen. Le Parlement européen a opté pour une réduction de 6 mois de la protection de base, qui passe de 8 ans à 7,5 ans ; s’il établit bien une durée maximale de protection, elle est de 8,5 ans, soit 6 mois de plus qu’aujourd’hui. Les entreprises pharmaceutiques pourront bénéficier de périodes supplémentaires de protection des données si le produit concerné répond à un besoin médical non satisfait (+ 12 mois), si des essais cliniques comparatifs sont menés sur le produit (+ 6 mois) et si une part importante de la recherche et du développement du produit a lieu dans l’UE et au moins en partie en collaboration avec des entités de recherche de l’UE (+ 6 mois).
Ces dispositions du paquet pharmaceutique sont ridiculement insuffisantes pour faire face à la pénurie de médicaments !
Les pénuries de médicaments essentiels ont explosé, passant de 406 en 2016 à plus de 4000 l’an dernier en France. Citons à titre d’exemple, l’amoxicilline, un antibiotique essentiel, le curare un anesthésique de base. Pour ces médicaments anciens, mais indispensables, pas de stocks, et une production à flux tendue délocalisée en Inde ou en Chine pour maximiser les profits.
Ces pénuries ne sont pas prêt de cesser. La commission d’enquête sénatoriale française a révélé en juillet 2023, à la grande colère de l’industrie pharmaceutique, que plus de 700 médicaments à intérêt thérapeutique majeur allaient voir leur production cesser, dans les mois et les années prochaines.
Pertes de chance, aggravation des pathologies, angoisse, décès évitables voilà les conséquences de ces pénuries structurelles quand la santé de l’actionnaire passe avant la santé publique.
Le pourcentage de l’Inde ou de la Chine dans la production de principes actifs (API pour Active Pharmaceutical Ingredient) a bondi de 31% en 2000 à 66% aujourd’hui. Faire revenir sur le sol européen les productions en confiant au marché les conditions de cette production ne suffira pas. Car pour les préparations pharmaceutiques, l’UE occupe une position ultra-dominante avec des parts du marché mondial approchant 80% au cours des 20 dernières années. Le krach boursier d’EuroAPI, filiale de Sanofi spécialisée dans la production sur le territoire européen des principes actifs, démontre qu’insister uniquement sur les lieux de production sans remettre en cause le marché, n’a aucun sens.
L’absence de transparence des laboratoires et de la Commission Européenne favorise aussi la défiance envers vaccins et traitements : les contrats entre l’UE et les firmes pharmaceutiques sont couverts par le secret des affaires, y compris les prix d’achat et le secret des essais cliniques. Gilead et l’inefficacité de l’anti viral remdesivid contre la Covid en est l’exemple le plus scandaleux.
De plus la Commission Européenne, sous l’impulsion de Macron, a repoussé la proposition de levée des brevets faite à l’OMC par l’Inde et l’Afrique du Sud. La pénurie organisée par la production privée et les accords de l’OMC sur les droits de propriété intellectuelle liée au commerce, ont favorisé l’explosion des prix pour les systèmes de solidarité et de Sécurité Sociale, et l’absence d’accessibilité pour les peuples du Sud. Rappelons que le code génétique du Covid vaccin était public ainsi que les bases des vaccins ARN. Des vaccins que Big Pharma a fait payer au prix fort à nos systèmes de Sécurité Sociale. Avec le budget vaccins Covid d’une seule année, les hôpitaux français auraient pu embaucher 59000 infirmières. Rappelons à ce propos que l’enquête sur le scandale des surcoûts des médicaments et vaccins anti-Covid résultant des négociations entre Von der Leyen et les Big Pharma est toujours en cours.
Le Sud global qui ne pouvait payer ces prix favorisés par la pénurie organisée par les brevets et les droits de propriété intellectuelle a été privé de vaccins. Dépendant des programmes d’aide qui ont tardé et qui ont envoyé des vaccins proches des dates de péremption, ou ceux que les systèmes de solidarité et de Sécurité Sociale refusaient notamment parce qu’ils induisaient le plus d’effets secondaires, notamment chez les plus jeunes (alors que l’âge moyen dans les pays du Sud est évidemment plus bas).
Les médicaments devraient être des biens communs, la santé marchandise pille les systèmes de solidarité des pays riches, multiplie les pénuries, dépense plus en communication ou en rachat d’action qu’en recherche et prive le reste du monde de traitements. Seuls 23% des nouveaux médicaments présentent de réels avantages par rapport aux médicaments existants (Prescrire, 2023).
Nous voulons la production publique de médicaments qui s’appuierait sur une R&D valorisée, avec les financements publics nécessaires afin que nos labos conservent des capacités d’innovation et de carrières pour les chercheurs. Nous voulons la levée des brevets, dans le cadre d’une Europe non pas des banques, mais des besoins sociaux, en coopération mondiale avec ceux pour qui la pénurie est la norme, les pays et les peuples du Sud.
Transparence totale, baisse massive des prix, licences d’office, fin des brevets et des accords sur les droits de propriété intellectuelle, production publique de médicaments. Voilà nos exigences pour la santé !