
Élections législatives anticipées en Allemagne : Ce que nous réserve la victoire de la CDU/CSU
Des élections législatives anticipées se sont tenues en Allemagne ce dimanche 23 février, après l’explosion de la “Ampelkoalition” (rouge/SPD-vert/Ecolos-jaune/FDP) du chancelier social-démocrate Olaf Scholz au Bundestag en novembre dernier.
Ces élections législatives, déterminantes pour le pays, pour l’Union Européenne, ont massivement mobilisé les électeurs d’outre-Rhin avec un taux de participation exceptionnel de 82,5%.
Historiquement, les taux de participation précédents ont varié entre 70 et 76% depuis 2009, dernier scrutin législatif fédéral avant la « réunification ». Atteignant cette fois 82,5%, soit un gain de plus de 6 points par rapport au scrutin de 2021, la participation reste toutefois encore bien en deçà des 85% à 90% des années 1970-1987. Une leçon de civisme que nous donnent assurément nos voisins d’outre-Rhin, et ce de longue date !
Il est vrai qu’en Allemagne ce scrutin législatif est doublé d’un fort enjeu, moins marqué en France, puisqu’il en découle ipso facto la désignation du futur chancelier… qui ne partagera pas le pouvoir exécutif avec un « président tout puissant » comme c’est le cas en France.
La fonction du président fédéral allemand (élu au suffrage indirect par « l’assemblée fédérale », au scrutin majoritaire à 3 tours et pour une durée de 5 ans, renouvelable une seule fois de façon continue) est essentiellement de garantir le bon fonctionnement des institutions et de représenter la cohésion de l’ensemble du pays, de manière surtout symbolique et éthique. Il est généralement considéré comme une personnalité se plaçant « au-dessus des partis » et « des trois branches du gouvernement ». À ce titre, il fait figure de « pouvoir neutre ».
La CDU/CSU, parti conservateur, se situe en première position avec 28.52% des voix et 208 sièges et se trouve donc légitime pour proposer le chef du parti, Friedrich Merz comme futur chancelier. Le parti socio-démocrate au plus bas de son histoire avec 16.41% et des votes et 120 sièges, s’est vu largement dépassé par le parti d’extrême-droite, l’AfD qui s’envole à 20.8% et 152 sièges. Pourtant une lumière s’est mise à briller, redonnant soudain un espoir : le parti Die Linke, porté par un élan de la jeunesse quelques semaines avant le scrutin, est en mesure de constituer un groupe parlementaire (une “Fraktion”) d’opposition fort avec 8.8% des votes et 64 sièges au Bundestag.
La future coalition qui se profile
Merz souhaite construire au plus vite une coalition pour pouvoir gouverner sans attendre, et c’est une coalition Schwarz-Rot qui semble la plus probable (CDU/CSU et SPD). Ce type de coalition de gouvernement peut sembler une curiosité pour la France, mais se produit en fait assez fréquemment au niveau fédéral en Allemagne. Ces compromis de gouvernement sont issus du système électoral qui fonctionne à la proportionnelle et dont le résultat se traduit par un parlement hétéroclite où il est indispensable de chercher des ententes avec des partis dont le programme est parfois bien éloigné de la force politique pourtant arrivée en tête.
Comparer… avec modération et perspicacité !
Comparer avec le scrutin de 2021 en nombre de sièges par formation est toutefois une entreprise délicate du fait d’une profonde réforme du Bundestag (votée constitutionnellement en 2023) entrée en application lors du scrutin de février 2025, réduisant notamment le nombre total de député.e.s de plus d’une centaine de sièges, pour le porter à un nombre fixe de 630. En effet, avant cette réforme, et selon un mécanisme assez complexe, la taille du Bundestag pouvait varier assez fortement du fait de l’élection de député.e.s en « surnombre » dans de nombreuses circonscriptions, qui obligeait dès lors à attribuer aux autres partis et dans d’autres circonscriptions des députés supplémentaires, permettant de respecter la stricte proportionnalité obtenue au scrutin de liste (la « seconde voix »).
Le système de désignation des député.e.s suivant ce « principe de la double voix » (Zweitstimmendeckung), « également connu sous le nom de représentation proportionnelle personnalisée […] combine l’élection de candidats directs avec la répartition proportionnelle des sièges au Bundestag » (Cf : https://www.bundesregierung.de).
Or l’attribution des sièges est [dorénavant] basée sur les deuxième votes, les mandats directs [dits « de la première voix »] ne comptent que s’ils sont couverts par « les seconds votes » [voir toujours le site bundesregierung] … soit le scrutin de liste des partis, leur nombre de voix au niveau fédéral leur conférant un nombre de sièges strictement proportionnel à leur pourcentage de voix recueillies, le total des députés ne pouvant plus varier “à la hausse » puisque fixé à 630.
299 député.e.s sont donc élu.e.s au scrutin « majoritaire direct » (c’est dire dans leur circonscription, chaque circonscription comptant une population d’environ 250 000 personnes)… sous réserve toutefois que la « liste partisane » sous laquelle ils et elles se sont présenté.e.s atteigne les 5% au plan fédéral (et non au plan de chaque Land).
Ce qui a fait défaut au FDP, du fait des 4,3% de voix recueillies. Il participait pourtant à l’ancienne « GroKo » (dite « du feu tricolore » ou « Ampelkoalition ») … mais l’avait quittée en novembre 2024 suite à de nombreux différends entre le ministre des finances FDP Christian Lindner et le chancelier, obligeant ainsi Olaf Scholz à anticiper les élections législatives générales.
Contrainte que n’a pu remplir également le nouveau venu, Bündnis Sarah Wagenknecht. Après deux années comme « mouvement » (une dizaine de député.e.s, dont sa figure de proue, Sarah Wagenknecht, avaient quitté le groupe parlementaire « Die Linke » pour siéger dans leur nouveau groupe ainsi dénommé) BSW s’est transformé en parti au plan fédéral le 27 janvier 2025, lors de son congrès fondateur de Berlin, en présence de 400 membres… mais sans être encore très présente dans les Länder de l’ouest.
Il ne leur aura donc manqué que 14 000 voix environ (pour un total de voix de 2 468 000 au plan fédéral) et 0,03% pour dépasser cette barre fatidique des 5% … couperet qui n’avait pas frappé Die Linke en 2021 puisque, avec ses 2 270 906 voix soit 4,89% des suffrages exprimés, Die Linke avait obtenu 39 sièges… dont les 10 député.e.s sorti.e.s du groupe en 2023.
On notera toutefois que cette contrainte des 5% peut être dépassée … si le parti concerné a pu « remporter la majorité des premières voix dans au moins trois circonscriptions pour entrer au Bundestag » (Cf : site du « Bundesregierung »).
Ce qui n’a été le cas ni pour le FdP (4,3% des voix au niveau fédéral), ni pour BSW (4,972%)… qui n’est pas parvenu à faire élire des candidat.e.s au scrutin direct (1ère voix) dans 3 circonscriptions de l’est où la formation était pourtant bien implantée depuis les élections « régionales » (aux parlements des Länder) de septembre 2024 (Thuringe =15,8%, Saxe = 11,8%, Brandebourg = 13,48%), et ce avec déjà une forte participation (entre 73% et 73,5% selon le Land).
Certes, la prééminence des candidatures de l’AfD dans ces Länder rendait difficile la possibilité de se positionner en tête dans une circonscription. Bref, en matière de règlement électoral, on le voit … le diable est (aussi) dans les détails (de règlements et procédures) !
L’AfD explose les compteurs et devient la première force politique dans les Länders de l’Est
L’AfD se nourrit en grande partie du ressentiment des Allemands de l’Est. La réunification des 2 Allemagnes il y a 30 ans s’est faite uniquement sous le prisme libéral et capitaliste d’une part et à marche forcée d’autre part. Rien de l’ex-RDA ne devait subsister à la suite de la chute du Mur et à l’effondrement du bloc soviétique. En souhaitant effacer purement et simplement ce qui existait en RDA, l’Etat fédéral a aussi supprimé ce qui marchait plutôt bien : Les infrastructures ferroviaires et transports en commun, les infrastructures de prise en charge de la petite enfance. Même certaines avancées en terme d’égalité femme-homme ont fait les frais de la réunification au seul bénéfice du système politique Ouest-Allemand.
Les “OstLänder” n’ont jamais rejoint les niveaux économiques des autres Etats et la fracture est toujours saillante. De la part de l’ouest, il n’y a pas eu volonté de mettre en œuvre une politique de réindustrialisation après le rabotage occasionné par la mise en place de l’organisme de liquidation des entreprises industrielles est-allemandes qu’a joué, de fait, la Treuhandanshalt créée le 1er mars 1990. Le ressentiment de la population des « Ossies » et de leur descendants d’aujourd’hui, est d’autant plus fort qu’il n’a pu s’exprimer politiquement au sein de la Bundesrepublik unifiée, ressentie par eux comme une véritable « annexion » malgré l’équivalence des 2 marks (est-ouest) décrétée dès 1990 pour acheter leur consentement !
La désindustrialisation (ou plutôt la non-industrialisation) y est donc massive – 463 sièges de grandes entreprises à l’Ouest contre seulement 37 à l’Est -, Le chômage y est bien plus élevé (7% contre 5% à l’Ouest), les salaires y sont plus bas. Le revenu disponible par habitant passe de 22870 € à l’Ouest à 19820€ à l’Est.
Mais le coût de la vie (loyers très élevés, alimentation, carburant) est en revanche le même. De plus, l’Est est sensiblement plus rural que l’Ouest. L’usage de la voiture pour se déplacer est une nécessité dans de nombreuses zones, et le discours anti-voiture et les mesures anti-pollution des Verts font l’objet d’un rejet massif.
Chômage, pauvreté, déclassement, parfois même dénigrement de la part des Ouest-allemands, ont créé un terrain fertile pour l’extrême-droite et les idées réactionnaires et xénophobes, que l’on peut retrouver jusque dans certains programmes de partis pourtant identifiés à gauche comme la BSW de Sahra Wagenknecht, qui ne sera pas représentée au Parlement mais qui à totalisé 4.97% des voix pour cette élection et avait enregistré de beaux scores dans les Ostländer à l’automne dernier.
S’il faut relever que l’AfD progresse dans toutes les régions (Länder), cela est plus particulièrement marqué dans celles de l’est où, dimanche dernier, la formation d’extrême-droite a fréquemment dépassé les 35% (une exception notable toutefois : Berlin où Die Linke s’est affirmée et où le SPD a moins fléchi ; mais cette situation particulière de la capitale demandera un examen ultérieur plus précis et détaillé, exigeant donc de bien connaître toutes les données).
L’AfD arrive en tête (à la majorité relative, mais cela suffit dans un scrutin de liste proportionnel à un seul tour, idem pour le scrutin uninominal par circonscription, la fameuse « première voix ») dans 49 des 299 circonscriptions, contre « seulement » 17 au scrutin précédent de 2021. Selon le site Brut, elle atteint plus de 40% dans certaines circonscriptions de l’est avec un record de 46% dans une de celle-ci. » C’est dire que, à l’est, l’AfD n’a guère laissé de place aux autres listes, surtout en Saxe et Brandebourg. »
La CDU/CSU a voté en janvier dernier, main dans la main avec l’extrême-droite de l’AfD, la réduction massive d’accueil d’étrangers, ce qui a ému jusqu’à Angela Merkel (!)
Au programme de la CDU/CSU : fermeture des frontières aux réfugiés, reconduite à la frontière de réfugiés provenant d’autres pays de l’espace Schengen, emprisonnement des personnes sous OQTF, suppression du BürgerGeld, même pour les réfugiés ukrainiens…
Le SPD a définitivement abandonné le modèle social allemand
La destruction du modèle social par le SPD, a commencé avec Gerhard Schröder lorsqu’il était chancelier de 1998 à 2005. 20 ans plus tard, Scholz et sa coalition auraient pu tenter de panser quelques plaies, mais l’ont définitivement enterré avec l’aide du parti libéral FDP dont était issu le précédent ministre des Finances, Christian Lindner. Les électeurs se sont fait clairement entendre en sanctionnant sévèrement le parti en ne lui accordant que 16.41% des voix, du jamais vu. Malgré cette défaite, il est pourtant fort probable de retrouver le SPD dans le prochain gouvernement du fait des jeux de coalition. Tout comme la CSU et les Verts, les socio-démocrates sont sur une ligne guerrière vis à vis de la situation en Ukraine et par rapport à la mise en place d’une défense européenne.
Rechercher la voie de la paix parce que la guerre coûte trop cher
Les augmentations massives des budgets militaires pour répondre aux engagements de fournitures d’armes à l’Ukraine face à la Russie et à la mise en place du Fonds européen de la défense, plombent fortement le budget de l’état fédéral qui ne peut plus faire face aux coûts d’entretien et aux investissements nécessaires aux développements des infrastructures du pays. L’obsession d’un niveau de dette le plus bas possible risque fort de perdurer avec la prise de la Chancellerie par la CDU/CSU et le chef de file Friedrich Merz. La rengaine habituelle “moins de dépenses, moins d’impôts pour les “entrepreneurs” – entendons par là les très riches et les grandes entreprises -, moins d’aides sociales” ne fera rien à l’affaire.
La course à la guerre et à l’armement profite a contrario aux grands complexes militaro-industriels comme Rheinmetall et Krauss-Maffei Wegmann qui engrangent des profits records grâce à de juteuses subventions, commandes publiques et commandes privées.
La CDU/CSU compte bien continuer dans cette voie, proposant de livrer des missiles de croisière Taurus aux ukrainiens. Le SPD n’est pas en reste en promettant de maintenir le budget fédéral consacré à l’armement au-dessus de 2% de PIB. Et idem pour Bündnis 90/les Verts, s’ils venaient à être sollicités pour participer à la coalition de gouvernement.
L’économie et les profiteurs de guerre ont encore de beaux jours devant eux. Si on prend en compte les désirs de Trump qui ne veut plus injecter d’argent américain dans la guerre en Ukraine et qui demande à l’Europe de s’occuper de sa défense elle-même, les mois voire les années à venir se profilent ainsi sous de bien mauvaises augures.
Une lueur d’espoir à 3 semaines du scrutin, un groupe d’opposition prometteur au Bundestag
Fin janvier, le vote de la CDU/CSU de Merz, main dans la main avec l’AfD sur des questions d’immigration a propulsé sur le devant de la scène politique et des réseaux sociaux la cheffe de file du Parti Die Linke, “La Gauche”. Heidi Reichinnek, 36 ans, co-candidate avec Jan van Aken, dans une prise de parole enflammée au Bundestag, a fustigé le vote de la CSU avec l’AfD, créant dans leur rang un malaise palpable. Le discours de Reichinnek, partagé près de 7 millions de fois sur les réseaux sociaux se terminait par « Je le dis aux gens dehors : n’abandonnez pas, battez-vous, résistez au fascisme dans ce pays. Aux barricades ! ».
Il n’en fallait pas plus pour qu’une vague sans précédent se lève parmi la jeunesse, qui, électrisée par cette sortie oratoire brisant les codes convenus, s’est non seulement intéressé mais a adhéré en masse à un programme résolument de gauche, de paix, de justice sociale, antifasciste et anticapitaliste, aux lignes politiques claires et sans compromission. 90 000 adhésions, à 3 semaines du scrutin, 90 000 nouveaux adhérents qui ont enfilé la veste rouge et sont allés frapper à plus de 500 000 portes pour convaincre. Le soir du 23 février, c’est avec 8.8% des voix – 35% chez les 18-24 ans – et 64 sièges que “Die Linke”, pourtant laissée pour morte fin 2024, annonce qu’elle peut créer une “Fraktion” – un groupe parlementaire- qui sera présent pour s’opposer au prochain gouvernement.
Anissa Slimi-Demailly et Jean-Claude Val, secrétaires exécutifs nationaux du Parti de Gauche